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Littérature de voyage : chez les éditeurs, un vent de renouveau

©Marc Dufournet

Littérature de voyage : chez les éditeurs, un vent de renouveau

En dépit des crises, la littérature de voyage et ses éditeurs se portent bien. Avivé par de nouvelles formes narratives moins égocentrées et plus tournées vers l'immersion et la réflexion, le genre s'imprègne aussi des problématiques environnementales actuelles.

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Par Adriano Tiniscopa, à Albertville
Créé le 27.10.2022 à 20h38 ,
Mis à jour le 28.10.2022 à 11h46

À l’instar de Sylvain Tesson dans son dernier succès (Blanc, chez Gallimard), la littérature de voyage franchit les à-pics formées par les crises sanitaires, écologiques et énergétiques. Face à ces dernières, les éditeurs spécialistes doivent aussi repenser leurs manières de produire des livres. Mais sur le plan éditorial, le récit de voyage évolue aussi, se tournant davantage vers l'immersion réflexive.  Au demeurant, pour l'éditrice Agnès Guillemot, « La littérature de voyage ne propose plus seulement de la découverte mais aussi une façon de regarder et de raconter avec une dimension plus personnelle qu’auparavant », résume Agnès Guillemot, éditrice chez Transboréal. 

« La pandémie nous a obligés à réorienter nos thématiques, plus centrées sur l'alpinisme et les océans », confirme William Mauxion, rédacteur en chef de la revue Bouts du monde. Pour Stéphanie de Bussierre, éditrice et fondatrice de la maison Akinomé, il y a aussi un avant et un après Covid. « Même en termes de fabrication, il n'y a plus de pelliculage, et notre papier est 100 % recyclé », raconte-t-elle à Livres Hebdo depuis les allées du 21e festival du Grand Bivouac, salon du film et du livre d'aventure à Albertville (Savoie), qui se tenait à la mi-octobre. Plus récemment, les crises du papier et de l'approvisionnement en énergie ont obligé certains éditeurs à « accentuer leur logique de maîtrise des coûts et à plus s’interroger sur la rentabilité de chaque projet », assure Aurore Belluard, directrice adjointe chez Glénat. S'ajoutent aussi les problématiques écologiques qui « nous forcent à travailler autrement, à faire plus attention aux surreprésentations en librairie pour éviter les retours », expose la directrice de Paulsen, Isabelle Parent

Un secteur en vogue, et en évolution 

Malgré cet état de fait, la littérature de voyage suscite toujours autant l'intérêt. William Mauxion explique avoir reçu depuis 2007 plus de 10 000 propositions de manuscrits. Et avec le 52e et dernier numéro de la revue Bouts du monde, ce ne sont pas moins de 700 histoires qui ont été publiées. Autre illustration de cette effervescence, l'Union des éditeurs de voyage indépendants, et ses onze éditeurs, représente à elle seule 2500 titres de littérature de voyage. Et le genre n'est pas l'apanage des éditeurs spécialisés, imprégnant sans distinction les collections des maisons généralistes. Celles-ci continuent d'être créatives et d'initier de nouveaux projets, à l'instar de Transboréal avec « Nature nomade », nouvelle collection alimentée de « carnets de bord immersifs en pleine nature, dans lesquels il s’agit plus de mettre en avant les écosystèmes environnants que le voyage en soi », d'après son éditrice, Agnès Guillemot. Chez Paulsen, une nouvelle collection est aussi dans les tuyaux, et alliera bientôt « fiction et expérience vécue, évasion et découverte, aventure et grands espaces, faisant la part belle à la faune sauvage », fait savoir Isabelle Parent.

Bien sur, le secteur compte toujours sur ses têtes d'affiches, à l'image de Mike Horn et de son dernier ouvrage Le SOS de l'aventurier (M. Lafon) tiré à 65 000 exemplaires, alors même que « l’explorateur et le récit d’exploration ont disparu », selon l'écrivain et éditeur Émeric Fisset. Mais pour Marc Wiltz, éditeur et créateur de la maison Magellan & Cie, la dissipation du registre du récit d'aventure est à relativiser, estimant que « beaucoup d’auteurs sont aujourd’hui encore dans le sillage de Tesson tels Stéphane Dugast ou encore Florent Marconi ». Cela dit, certaines productions éditoriales sont aujourd'hui désuètes, « on ne fait plus de beaux livres ethnographiques par exemple », rend compte la directrice adjointe du secteur Livres chez Glénat, Aurore Belluard. De manière générale, « la littérature de voyage à caractère ethnologique et historique ne se vend plus », affirme de son côté Émeric Fisset.

Un regard plus qu'une destination

Toujours aussi riche en objets éditoriaux (beaux livres, livres et carnets de bord illustrés, romans graphiques, essais sur les thématiques du voyage, livres documentaires...), la littérature de voyage connaît ainsi un changement de paradigme et prend l’allure « d’un genre qui raconte le monde à travers l’humanité, à travers les gens que les auteurs rencontrent, avec une vraie montée en exigence sur le plan de la qualité d’écriture », affirme Jean-Sébastien Esnault, le délégué général du Grand Bivouac.

La tendance est aux « voyages au long court, avec cette dimension inaltérée de l'engagement physique, qui s'ajoute à celle de l'approfondissement des liens auprès des populations », analyse aussi l'éditrice Agnès Guillemot. Jean-Yves Simon, par exemple, a séjourné près de dix ans en Chine, expérience qu'il a retranscrite dans Voyages d'encre : carnets de Chine, 2005-2013 (2017), titre des éditions Akinomé vendu depuis sa parution à 4000 exemplaires. Pour la grande reporter et autrice, Sylvie Brieu, « face à "l’information zapping", les lecteurs s’attachent plus facilement aux liens durables ». « C'est à l'instant où les relations deviennent profondes que les accès s'ouvrent et que nous percevons l’endroit où nous sommes à hauteur des hommes avec qui nous sommes », conclut l'écrivaine.

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