Marie la scandaleuse. « Ils s'aimaient depuis longtemps, − du moins le leur semblait-il − et ils ne se l'étaient prouvé que la veille pour la première fois. Ç'avait été très gentil, très camarade. Voilà cinq mois qu'ils se rencontraient et ils s'étaient plu tout de suite. Elle s'ennuyait, mariée depuis deux ans à un mari qui l'aimait beaucoup et qu'elle aimait de toute la moitié de son cœur. Il la rendait fort heureuse, mais il n'avait pas tout à fait ses goûts. Ses journées semblaient dévorées d'avance par d'interminables courses d'automobile, tandis que sa femme haïssait le vent, la vitesse et la poussière. »

Ces lignes, toutes tissées d'élégance et d'insolence, pourraient être celles de la Françoise Sagan de Bonjour tristesse. Elles sont d'une autre fausse ingénue, mais écrites un demi-siècle avant celles du « charmant petit monstre » et sont l'œuvre d'une jeune femme vive, lettrée, joyeuse, une enfant de la balle du Tout-Paris des lettres, décidée à éprouver sa liberté sans pourtant la revendiquer jamais. Fille du célèbre et dispendieux poète José-Maria de Heredia, Marie de Régnier a 28 ans lorsqu'elle publie en 1903 (sous le pseudonyme de Gérard d'Houville, car prudence est tout de même mère de sûreté), L'inconstante, son premier roman. L'histoire est scandaleuse, même si son autrice s'évertue à faire mine de ne pas comprendre en quoi elle puisse vraiment l'être. Le mode d'emploi de l'adultère en matière littéraire était déjà connu, mais là c'est autre chose, d'infiniment plus licencieux. Soit donc, une jeune femme, Gillette, mariée à Charles de Vernoy et menant en parallèle une liaison avec Valentin de Vérovre. Gillette est assez libre de mœurs, suffisamment en tout cas pour que, lorsque son amant part à l'étranger, elle le trompe à son tour avec Michel, son meilleur ami...

Il n'est pas nécessaire d'être parfaitement au fait des ragots de la bonne société 1900 pour comprendre le caractère pleinement autofictionnel de ce roman. Gillette bien sûr, c'est Marie, Valentin, Pierre Louÿs (qui fut sans doute le grand amour de la vie de Marie de Régnier), Charles, Henri de Régnier et Michel, Jean de Tinan. Sachons gré aux avisées éditions Bartillat de cette réédition bienvenue qui replace son autrice là où on ne savait pas devoir la chercher : du côté de chez Colette.