7 janvier > Roman France

Dans C’était notre terre (Albin Michel, 2008), Mathieu Belezi racontait la saga d’une famille pied-noire à travers la voix d’une riche héritière mêlée à celle de son mari, brutal colonialiste coureur de jupons, et à celles de leurs trois rejetons. C’était une polyphonie lyrique composée de soliloques et de prosopopées. Ici, l’auteur des Vieux fous (Flammarion, 2011) clôt sa trilogie algérienne avec l’âpre monologue d’une femme blanche mais pauvre à qui le gouvernement français alloue, à la fin des années 1860, quelque vingt hectares quasi incultes. Emma Picard et ses quatre fils, les deux grands, Charles, Joseph, et les deux petits, Eugène et Léon. Aidés par "l’Arabe" Mékika, employé par les anciens propriétaires de cette ferme de Mercier-le-Duc sur la route de Sidi Bel Abès, Emma et ses enfants s’attellent à la tâche de faire sortir quelque chose de ce sol aride. Les pionniers sont accablés par le climat et les fléaux naturels : sauterelles, choléra… Ce sont les sept plaies d’Egypte qui s’abattent sur cet équivalent féminin de Job. Abandon du dieu des chrétiens - même le curé a été décapité par des brigands de Bou-Zian qui ont emporté sa tête dans leurs refuges de montagne ? Némésis du dieu des musulmans dont la terre ne cesse d’être violée par les colons ? "Certains jours, je croyais que nous allions mourir, que nous n’aurions pas le courage de résister jusqu’au bout, nous rampions comme des cloportes dans les cendres de terres dévastées, la main toujours occupée à chasser les mouches qui cherchaient à nous manger les yeux/quelle honte […]." Mais la honte ne tue pas, et la Mère courage, animée par la résilience des désespérés, chante son malheur à Léon, le dernier de ses fils vivants, son benjamin au corps "tout démanché", dans une apostrophe rétrospective. Ainsi commence ce long thrène inspiré d’un récit de voyage de Maupassant en Algérie, où une vieille Alsacienne, dont les trois fils étaient morts, avait répété à l’auteur de Bel-Ami : "De la cendre, monsieur, de la cendre brûlée. Il n’y vient pas un chou, pas un chou." S. J. R.

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