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Parenting : Déculpabiliser les parents

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Parenting : Déculpabiliser les parents

Alors que le rayon parenting connaît de bons résultats, s'étant imposé comme ressource pour les parents durant les confinements, il cherche cependant à se renouveler et tourne peu à peu la page de Montessori et de l'éducation positive. Quelques pistes émergent. En premier lieu, la déconstruction des nouvelles injonctions parentales.

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Par Maïa Courtois,
Créé le 21.01.2022 à 12h20 ,
Mis à jour le 14.02.2022 à 23h07

Les confinements successifs ont laissé des traces dans l'année 2021 du rayon parenting. Et les demandes nouvelles des parents se sont plutôt ancrées. L'an passé, les éditeurs observaient le succès de l'accompagnement à la scolarité. « Les parents ont découvert qu'il y avait des produits ludiques, complémentaires de ce que l'école pouvait proposer. Cela a créé de nouvelles habitudes », expose Joanne Mirailles, directrice éditoriale adjointe chez Eyrolles, qui affirme que la croissance de leur rayon « a été beaucoup tirée par le parascolaire ». Leur collection de cartes mentales, par exemple, a passé la barre des 200 000 exemplaires vendus.

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Émilie Franc, directrice éditoriale santé, bien-être et développement personnel chez Larousse.- Photo OLIVIER DION

 

Au-delà de l'apprentissage scolaire, « cette crise a montré des aspirations au changement en famille », observe Valérie Rio, directrice éveil-parenting chez Nathan. Dans la collection « 10 jours pour changer », l'éditeur a publié Réduire les écrans d'Élisabeth Baton-Hervé en avril 2021. « Cela nous semblait être une thématique importante post-confinement. » Elle est abordée dans un format court, ludique et léger. « Beaucoup de personnes souhaitent occuper leurs enfants sans recourir seulement à l'écran, éveiller leurs sens artistiques et créatifs » abonde Aurélie Starckmann, directrice du département pratique chez Albin Michel. Le grand livre des activités récréatives, de l'artiste Héléna Zaïchik, paru fin septembre chez l'éditeur, propose 80 projets aux 3 à 10 ans « à partir de trois fois rien. Un livre post-confinement ! », résume Aurélie Starckmann.

Les éditeurs perçoivent plus que jamais la volonté des parents de « passer des temps calmes avec leurs enfants, de créer des moments de bien-être et de communication », insiste Émilie Franc, directrice éditoriale santé, bien-être et développement personnel chez Larousse. Les confinements ont mis l'accent sur « les techniques de développement de l'attention, de relaxation », complète Catherine Meyer, des Arènes. C'est ainsi qu'elle explique le succès continu de Calme et attentif comme une grenouille, paru en 2012.

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Joanne Mirailles, directrice éditoriale adjointe chez Eyrolles.- Photo OLIVIER DION

 

Mais le succès de ces long sellers témoigne aussi d'une difficulté du secteur à se renouveler. Entre novembre 2020 et octobre 2021, un livre sur quatre dans le rayon parenting relevait du fonds ancien à savoir les parutions de plus de trois ans, souligne l'institut GFK. Le ratio passe à un livre sur trois en 2021, notamment à cause de la baisse, en volume, de la nouveauté (-7 %, toujours selon les chiffres GFK). « C'est un rayon compliqué à faire bouger », confirme la responsable du rayon sciences humaines, psychologie et parentalité de la librairie Ombres Blanches, à Toulouse. De plus, le secteur n'est pas en développement et la bonne tendance est surtout liée à la reprise post-crise sanitaire. Les éditeurs du rayon sont face à un défi majeur : gérer la fin de l'âge d'or Montessori, niche qui a été largement explorée ces dernières années, jusqu'à la saturation. « Il y a un moment où l'on ne peut plus apporter grand-chose, quand on a déjà le grand format, le petit prix, le coffret, le calendrier... », soupire Aurélie Starckmann d'Albin Michel. Montessori a été « victime de son succès », tranche Joanne Mirailles d'Eyrolles. Pour l'éditrice, ce n'est « plus du tout la priorité : même des titres de fond s'essoufflent ».

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rayon x- Photo DR

 

Déconstruire les nouvelles injonctions

Plusieurs éditeurs jugent que le boom de Montessori et de l'éducation positive a aussi créé de nouvelles injonctions pour les parents. Une charge mentale, et parfois une culpabilité. Aux Arènes, la directrice éditoriale Catherine Meyer prépare pour août 2022 Petites et grandes questions pour une enfance heureuse, de Catherine Gueguen, illustré par MaY Fait des Gribouillis. Le credo : déculpabiliser les parents. « Nous continuons de labourer le même sillon, tout en explorant de nouvelles pistes et de nouveaux formats. Nous allons vers la simplification plutôt que la complexification », décrit Catherine Meyer. La déculpabilisation devient, plus que jamais, un fil rouge de la production éditoriale. Au premier trimestre 2022 paraîtra Parents, vous avez des compétences, par la psychologue clinicienne Corinne Roehrig, chez Larousse. « Il s'agit de rassurer les parents, explique Émilie Franc. Nous sommes toujours dans la cul-pabilité d'avoir peu de temps avec nos enfants dans un monde qui va très vite. Tout ce qui permet d'apaiser cela est bienvenu : il y a une forte demande. »

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Olivia Maschio Esposito, directrice des projets éditoriaux chez Marabout.- Photo OLIVIER DION

 

De son côté, Joanne Mirailles explore cette voie, mais en veillant à « ne pas faire des titres chocs ». À l'instar de J'élève mon enfant du mieux que je peux... et c'est déjà bien, d'Isabelle Pailleau, paru en novembre 2021, pas question de parler directement de « burn-out parental ». « Tout le monde est fatigué et trouve que le rôle des parents est compliqué. Mais tout le monde ne va pas dire "je suis en burn-out", argumente Joanne Mirailles. Le but, c'est d'élargir la cible ! » Chez Nathan, Valérie Rio observe cette évolution éditoriale d'un œil distancié. « Ce type de balancier est permanent dans l'édition, tient-elle à nuancer. Nous croyons toujours à la parentalité positive sans culpabilisation. Et nous avons toujours utilisé Montessori à bon escient, là où il est le plus intéressant : pour les plus petits, l'éveil à la découverte... »

Renouveler les cibles et les formes

Sans délaisser ses créneaux habituels, Nathan cherche plutôt à se renouveler dans la forme. « Nous nous questionnons : faut-il un discours descendant de pédopsychiatre, des témoignages de pères ? Cette année, nous misons sur des ouvrages très visuels, légers et simples à mettre en route » expose Valérie Rio. Ailleurs aussi, des formats inédits sont testés. Aux Arènes, Le bébégraphe de Jules Grandin et Clara Dealberto concentre 150 infographies pour aborder les sujets phares des premiers mois de la relation parent-enfant. En mars 2022, Eyrolles publiera Quelque chose à te dire, un carnet intime que le parent remplit et confie à l'enfant des années plus tard, voire en héritage, après le décès. Ce format, venu des États-Unis et du Royaume-Uni, s'inspire du succès de Burn after Writing de Sharon Jones, popularisé par les réseaux sociaux en 2019.

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Catherine Meyer, directrice éditoriale des Arènes. Aurélie Starckmann, directrice du département pratique chez Albin Michel.- Photo OLIVIER DION

 

 

Les éditeurs cherchent aussi des relais de croissance dans d'autres tranches d'âge. Les adolescents, toujours décrits comme difficiles à atteindre, disposent d'une offre encore restreinte. « Nous publions ponctuellement des textes très choisis, à destination des parents souhaitant trouver de l'aide auprès de professionnels », indique avec prudence Olivia Maschio Esposito, directrice des projets éditoriaux chez Marabout. Dans Adolescentes sur le fil, paru en septembre, la psychologue clinicienne Béatrice Copper-Royer leur délivre des conseils pour conserver le lien de communication avec leurs filles. First publiera Ados, apprenez-leur la liberté de la thérapeute Marie-Jeanne Trouchaud en janvier 2022. « Dans l'éducation positive aujourd'hui, nous restons sur la question du lien d'attachement avec l'enfant. Or, l'adolescence pose la question du détachement », souligne Rose-Marie Di Domenico, responsable éditoriale vie de famille.

« Le parenting va plus loin que les tout-petits. Sur l'adolescence, il y a beaucoup de choses à dire », martèle Émilie Franc, de Larousse. La maison d'édition vise à parler directement à ces jeunes, pas seulement à leurs parents. Kiffe tes règles, la suite de Kiffe ton cycle de Gaëlle Baldassari, sortira au premier trimestre 2022. Larousse a cherché à trouver une forme adéquate, sans aller jusqu'à la bande dessinée et en bannissant le « ton enfantin. Là, c'est un essai - avec des typographies joyeuses, mais c'est un essai ! Et nous ne les tutoyons pas », défend Émilie Franc. L'éditrice va chercher des auteurs capables de s'adresser à cette génération. Ainsi, le youtubeur Ben HPTS, spécialiste de l'univers d'Harry Potter, a signé en septembre Guide de survie magique. Un essai de 200 pages, où il évoque le harcèlement scolaire et les différentes périodes de l'adolescence au travers de la saga. En 2020, Émilie Franc constatait la timidité des éditeurs. Aujourd'hui, les ouvrages autour de « la sexualité adolescente, ou de leur utilisation des réseaux sociaux et du smartphone » progressent dans l'offre éditoriale.

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