Essai/Australie 6 février Nicholas Thomas

Pas si pacifique

Une planche du Voyage de la corvette L'Astrolabe (1833) sur les habitants de Tikopia et Vanikoro, deux îles des Salomon. - Photo DOMAINE PUBLIC

Pas si pacifique

À partir de récits d'explorateurs, de colonisateurs et de commerçants, Nicholas Thomas révèle l'autre histoire des Océaniens au XIXe siècle.

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Par Laurent Lemire
Créé le 23.01.2020 à 21h30

Bien sûr il y a les voyages du capitaine Cook, ceux de Dumont d'Urville. Il y a aussi les récits de Stevenson et de Loti. À ceux-là il faut ajouter ceux des baleiniers, des missionnaires, des commerçants, des militaires et des ratisseurs de plage, ceux que l'on nomme les beachcombers, ces aventuriers du Pacifique qui ont transformé ce grand océan spectral en rêve lointain. Nicholas Thomas ne les oublie pas dans son histoire qui fait la part belle aux relations de voyages, à l'érudition qui lève les voiles vers le grand large, vers ce grand continent liquide qui fascine autant qu'il intrigue. Car qu'en sait-on ? Peu de choses, certes, mais un peu plus tout de même que l'image de ces populations indiennes qui vivent dans un paradis, à l'écart des autres civilisations, en préservant les vertus d'une société naïve face aux corruptions du monde.

Dans ce livre joliment illustré, cet Australien qui dirige aujourd'hui le Muséum d'anthropologie et d'archéologie de l'université de Cambridge et qui enseigne au Trinity College de cette même université nous montre tout autre chose. De la fin du XVIIIe siècle au début du XXe, ces Océaniens de Tahiti, d'Hawaï, des Fidji ou du Vanuatu ont subi le colonialisme dans sa violence frontale, mais ils en ont aussi tiré profit. Loin d'être des victimes passives, ils ont bénéficié de cette relation compliquée avec l'Occident. C'est ce que montre cet expert de cette « Océanie » qu'il a présentée en tant que commissaire lors de l'exposition au musée du Quai Branly l'année dernière. Pour cela, il s'appuie sur les diverses expériences des insulaires du Pacifique. Il rappelle que « pendant des millénaires, les insulaires avaient voyagé et établi de nouvelles communautés ».

Derrière ces approches aventurières ou conquérantes, il cherche la réalité des empires « qui ne se mesure pas tant à une couleur sur une carte ni aux jeux diplomatiques des pouvoirs métropolitains, qu'aux bibles et au sang qui jonchent les plages des îles, ainsi qu'aux nouveaux imaginaires que ces intrusions et ces nouveaux objets ont engendrés ». C'est ce continent aux mille éclats qu'il veut présenter, dans des épisodes saisissants comme celui consacré à l'Île de Pâques - Rapa Nui pour les Polynésiens - et à l'effondrement de leur civilisation qui doit autant à leur comportement environnemental qu'à l'histoire coloniale du Pérou. Il revient de la même façon sur ce que les Européens comprirent des massacres aux îles Salomon ou les indices d'un cannibalisme aux Marquises. Après la lecture de ce livre passionnant, qui s'en tient aux faits sans plaquer de théorie, le nom Pacifique prend un tout autre sens.

Nicholas Thomas
Océaniens : histoire du Pacifique à l'âge des empires
Anacharsis
Tirage: 1 800 ex.
Prix: 23 euros ; 512 p.
ISBN: 9791092011869

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