ÉDITION

"Je suis atypique, cela veut dire que je suis différent. La Différence m'était prédestinée." CLAUDE MINERAUD- Photo OLIVIER DION

La "différence », c'est toute l'histoire de cette maison peu banale fondée en 1976 par Joachim Vital, Marcel Paquet, Patrick Waldberg et Colette Lambrichs. Seule cette dernière restait aux commandes depuis le décès, en mai 2010, de son compagnon de route Joachim Vital. Pendant toutes ces années, elle a revendiqué cette autre façon d'éditer. Aujourd'hui, le combat continue : "Nous qui avons lutté depuis trente-cinq ans pour maintenir un niveau d'exigence dans nos publications en dépit des conditions économiques de plus en plus difficiles, avons décidé de mener le combat qui nous sortira du système commercial asphyxiant qui nous tue", proclame Colette Lambrichs dans le Manifeste pour l'édition et la librairie indépendante qu'elle signe dans sa nouvelle collection "Politique".

L'artisan de cette bouffée d'air dans les locaux de la rue Ramponeau, dans le 20e arrondissement de Paris, c'est Claude Mineraud, riche octogénaire arrivé là par l'intermédiaire du directeur d'une grande banque. Ce drôle de petit homme a pris position dans ce quartier de Belleville aux ruelles taguées, où cohabitent 58 nationalités différentes, le 1er février 2011 à 10 h 30. La veille, à 23 heures, il avait liquidé son passé. "Je voulais diriger une maison d'édition depuis trente ans », assure-t-il, alors qu'il a fait toute sa carrière dans l'assurance. "Vous êtes une chance inespérée pour moi, je suis pour vous une chance inespérée", dit-il à Colette Lambrichs à leur deuxième rencontre. Mais dès la première, c'était bouclé : "Je suis atypique, cela veut dire que je suis différent. La Différence m'était prédestinée."

Différent en quoi ? Pas dans la façon de raconter sa vie, qu'il déroule toujours de la même façon, à en juger par les rares portraits de lui parus depuis la publication en septembre 2011 - à La Différence, bien sûr - de son livre, Un terrorisme planétaire : le capitalisme financier."J'avais 9 ans en 1940. Je n'ai jamais oublié le comportement des Français", rappelle-t-il volontiers. Puis c'est le collège, la découverte de la philosophie et de Nietzsche à l'université. A 21 ans, il a deux familles sur les bras, celle de sa mère avec encore quatre autres enfants, et la sienne où déjà un bébé s'annonce. Agent d'assurance à L'Abeille, comme son père, il devient inspecteur à 26 ans et trois enfants. Au bout de quatre mois, avec la part variable qui s'ajoute à ses 250 francs fixes de salaire, il gagne plus que le P-DG. Promu inspecteur général pour toute la France, il crée à 29 ans un cabinet de courtage d'assurances, La Société nouvelle, dont le notariat français devient très vite le principal client. En 1986, avec la création d'Union notariale financière (Unofi), qui gère des assurances-vie pour le compte de la clientèle des notaires, il devient l'un des initiateurs du "notariat entrepreneur" qui a fait gagner beaucoup d'argent à la profession, comme à lui-même... Une pratique qui, dès le début des années 2000, est clairement condamnée par le ministre de la Justice comme en contradiction directe avec le statut d'officier public des notaires.

Bons vins et repas fins

A La Différence, où l'art contemporain dispute la place aux livres, il n'est venu qu'avec deux fauteuils et son bureau qu'il traîne depuis 1964, seulement encombré d'un Papermate dans une petite boîte en bois. "On a repeint et mis du parquet, acheté au prix de la moquette, que j'avais déjà négociée", s'amuse l'homme d'affaires, tennisman aguerri. Toujours sportif, il n'en aime pas moins les bons vins qu'il conserve sur place ("c'est facile de monter une cave avec le notariat"). Il les sert avec grande attention lors de ses déjeuners concoctés par un chef dans une cuisine à faire pâlir d'envie les petits bistrots, servis dans une salle à manger annexée aux bureaux et au comptoir de vente : "Cela transforme les relations", assure-t-il. Il a également transformé le statut juridique de la société, qui de SARL devient SAS, dont il assure la présidence, Colette Lambrichs prenant la fonction de directrice générale. Le contrat avec Volumen, qui ne garde plus que la distribution, a été renégocié. La diffusion est désormais confiée à 9 délégués régionaux, qui assurent depuis janvier la vente des 1 900 titres du catalogue, répartis en 20 lieux de stockage. Au bout de deux mois et demi, le chiffre d'affaires est supérieur à celui de toute l'année 2011. Reboostée, l'équipe de La Différence, passée de 8 à 21 salariés, prévoit de publier 45 titres par an, avec notamment la reprise de la collection "Orphée", abandonnée il y a quatorze ans. Vous la voyez, la différence ?

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