Cinquième acteur du poche avec 320 nouveautés annuelles et un peu plus de 21 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024 (+ 8,2 %, selon le classement des éditeurs 2025 à paraître dans le numéro daté de septembre de Livres Hebdo), Points dévoile une sélection de rentrée qui témoigne de ses fortes ambitions. Marie Vingtras, prix du roman Fnac pour son titre Les Âmes féroces paru à L'Olivier, Aurélien Bellanger « qui a marqué la rentrée, y compris politique, l'année dernière », la lauréate du prix Médicis Julia Deck ou encore Philippe Jaenada en constituent certaines des têtes d'affiche les plus notables.
Mais la maison du groupe Média Participations mise également sur Rousse ou les beaux habitants de l’univers de Denis Infante, écoulé à plus de 20 000 exemplaires en grand format chez Tristram, selon NielsenIQ Bookdata (GfK). « C'est un vrai coup de cœur », affirme à Livres Hebdo la directrice générale Cécile Boyer-Runge. Le titre bénéficie d'une mise en place de 20 000 exemplaires, « un beau pari », relève la dirigeante.
Cette stratégie éditoriale s'inscrit dans un contexte de marché tendu. Comme tous les acteurs du poche, Points doit composer avec « un affaissement de la lecture » et « une déstabilisation » du secteur, selon l’ancienne patronne de Robert Laffont, passée par Le livre de Poche à la fin des années 2000.
Un marché sous pression
La conjoncture place Points face à des défis majeurs. J'ai Lu, surfant sur le tsunami de La Femme de ménage de Freida McFadden, dispose plus que jamais de moyens renforcés. Parallèlement, de nouveaux éditeurs lancent leurs collections poche, intensifiant la concurrence dans ce segment qui représente 390 millions d’euros (hors manga) selon les derniers chiffres du Syndicat national de l’édition (SNE), et se maintient contrairement à la plupart des autres rayons.
Comment navigue-t-on face à ces vents contraires ? « On tient fermement la barre. Je suis une Bretonne, je suis habituée à tous les temps ! », répond tout de go la dirigeante, par ailleurs membre du bureau du SNE.

La directrice, qui pilote une quinzaine de personnes « très agiles », revendique une approche pragmatique. « Je reste très lucide par rapport à notre propre force de frappe et à notre capacité à la fois éditoriale, marketing et commerciale », assure-t-elle. « Nous n’avons pas tous les atouts, mais on en a quelques-uns et on mise à fond dessus », reconnaît-elle également.
Points, qui fête ses 55 ans d’existence, s'appuie sur un catalogue de 6 000 à 7 000 titres actifs, répartis selon trois axes équilibrés : 40 % de littérature, 30 % de policier thriller, 30 % de documents et sciences humaines.
La réactivité comme arme stratégique
Face aux géants, Points développe donc une stratégie d'agilité. Le succès du polar Toutes ses fautes d'Andrea Mara, paru début avril et écoulé à plus de 60 000 exemplaires, illustre cette approche. Initialement publié par Méra Éditions « avec un tout petit score de vente en librairies » de 1 500 exemplaires, le titre a été repositionné par Points dans la vague du thriller psychologique domestique.
« On s'est dit, qu'est-ce qu'on peut proposer après ou à côté de La femme de ménage ? », explique Cécile Boyer-Runge, satisfaite d’avoir été « hypermobile, car on l'a fait en très peu de temps, ce qui montre qu’on est capable de réagir très vite avec notre diffusion » : nouvelle couverture, stratégie marketing ciblée, travail sur les réseaux sociaux et 100 000 exemplaires sortis en trois mois.
L'activation du fonds historique
Au-delà du travail marketing innovant pour le grand public (lire ci-après), Points mise massivement sur la valorisation de son catalogue auprès des professionnels. « Il faut rendre notre catalogue désirable », résume-t-elle, citant un conseil de Jean-Marc Roberts, l’emblématique patron de Stock décédé en 2013.
La maison développe des opérations ciblées. En juillet, elle a proposé aux libraires un fascicule avec « un titre de chacun de ces auteurs, dont on considère que c'est le livre par lequel c'est bien de rentrer dans l'œuvre » : Joyce Carol Oates, Richard Ford, Roberto Bolaño… « On s'est aperçu qu'il fallait absolument qu'on fasse preuve de pédagogie » face à « une nouvelle génération de libraires » qui découvre ces auteurs, explique Cécile Boyer-Runge.

Rue Gaston-Tessier, les initiatives éditoriales se multiplient : réédition du Guépard avec les visuels Netflix, republication d'André Barbault avec un nouveau packaging ou retour de Roland Barthes « avec une nouvelle charte typographique prévue pour l'automne ».
« L’idée, c’est de conjuguer le beau et le pas cher », précise Cécile Boyer-Runge. Frankenstein, Les Misérables, L'Île au trésor rejoindront la vingtaine de titres de la collection graphiquement rénovée Classiques Points, capitalisant sur le succès du Comte de Monte-Cristo en 2023.
Incursion dans le roman graphique
Plus audacieux : l'adaptation graphique de Moi d'abord, le premier roman de Katherine Pancol marque une incursion dans le roman graphique. Le projet, mené avec la dessinatrice Lou Zago et la scénariste Véro Cazot bénéficie de 14 000 exemplaires de mise en place et de la diffusion Dargaud.
Pour l'automne, Points prépare un événement autour de l’œuvre d’Édouard Louis : un coffret avec une nouvelle charte graphique et textes inédits. « Édouard Louis a souhaité que son œuvre familiale soit réunie au même endroit chez son éditeur de poche », se réjouit l’éditrice, qui estime que l’appartenance au groupe Média Participations constitue un avantage stratégique.
« J'ai la chance d'être dans une maison qui compte significativement au sein du groupe et d'être très accompagnée par la diffusion MDS », souligne-t-elle. Points publie « en priorité et avec une affinité élective évidente » les éditeurs du groupe : Seuil, L'Olivier, Métailié, Le Nouvel Attila, Les Forges de Vulcain, La Martinière.
Autonomie opérationnelle
Le groupe offre également une « grande latitude pour pouvoir proposer des nouveaux objets de création, repousser les frontières », estime-t-elle. « Points est aujourd'hui une filiale, donc une société à part entière avec des contrats spécifiques », argue-t-elle.
Cette autonomie opérationnelle génère de nouveaux défis. La maison doit développer ses propres relations avec l'écosystème éditorial. « 60 à 70 maisons représentées dans le fond Points », rappelle Cécile Boyer-Runge, qui revendique cette ouverture. L'enjeu : maintenir l'équilibre entre fidélité au groupe et ouverture externe.
Dans ce climat maussade, l’éditrice identifie des tendances porteuses : romans à dimension naturelle, retour du spirituel, maintien du policier… « Mon métier, c'est de donner envie de lire », revendique-t-elle en restant optimiste. « Je me réjouis que des phénomènes comme La femme de ménage existe, parce que ça veut dire qu'on continue à y croire. Et Moi, j'y crois à mort », conclut-elle.