Récit de voyage

« Je consulte mes notes, qui s'accumulent au point de former un texte kaléidoscopique dans lequel j'espère trouver la trame d'un futur livre, non pas une fiction, mais cette réalité merveilleuse, cachée, à découvrir au-delà des frontières mouvantes, au gré des pirogues et des légendes », écrit Tristan Ranx (ou celui qui se fait appeler ainsi) à la page 41 de Nuevo Dorado, avec un aplomb à la fois génial et horripilant. Cette phrase bien tournée définit un projet littéraire et entraîne le lecteur dans l'aventure, réelle ou supposée, qui est en train de lui être contée. « Entrez dans le rêve », chantait déjà Gérard Manset, qui a lui aussi pas mal baroudé dans les mêmes régions, essentiellement l'Amazonie, célébrant un monde en train de disparaître, en même temps que les derniers Indiens, Arawaks, Guaranis... Tristes tropiques.

Jusqu'ici, Ranx était connu pour ses chroniques branchouilles dans Bordel, Chronic'Art, Libération où il a succédé un temps à Alain « Destroy » Pacadis, ou encore dans Technikart. C'est d'ailleurs grâce au concours de manuscrits lancé par ce confrère qu'il a vu son premier vrai roman, La cinquième saison, publié chez Max Milo en 2009. À part cela, il serait docteur en histoire de l'université d'Oradea, en Transylvanie, pour un travail sur... le mythe de l'Eldorado. Ça ne s'invente pas.

Retour donc, à sa zone de prédilection, l'Orénoque, le delta de l'Amazonie, les Guyanes. On aurait d'ailleurs aimé que l'éditeur propose une vraie carte de cette région complexe plutôt qu'un croquis. Entre Guyane française, Suriname, et Guyana, entre autres, on se perd joyeusement. C'est certainement une volonté de l'auteur, comme celle de nous bombarder de son érudition. Son texte est tressé comme un bouquet de lianes, qu'on retrouve d'un chapitre à l'autre, et qui finiront par se rejoindre plus ou moins. Pour se repérer dans ce bouquin touffu, foisonnant, foutraque, un fil rouge, la vie extraordinairement romanesque de l'écrivain et explorateur anglais Sir Walter Raleigh (1552-1618), et sa lutte à mort contre les Espagnols. Il passe même pour avoir assassiné le poète Marlowe.

Sinon, il y a aussi Raymond Maufrais, un jeune explorateur français camé disparu en 1950, que son père est venu chercher durant dix ans, en vain. Maufrais a laissé un Journal, apparemment expurgé, que Ranx a pu consulter, mais dont, dans son abondante bibliographie, il ne donne pas les références. En revanche, il est question ici de Créolie et de « réalisme magique », de Césaire, Alejo Carpentier ou André Breton. De John Lennon brocardant Raleigh dans I'm So Tired (dans « l'album blanc » des Beatles, 1968), ou d'André Pieyre de Mandiargues et ses Monstres de Bomarzo (Grasset, 1957), expédié de façon un peu désinvolte...

C'est brillant, érudit, on s'y abandonne avec délices. Rarement un voyageur publié dans la collection de Michel Le Bris chez Hoëbeke aura été aussi « étonnant » que ce Tristan Ranx.

Tristan Ranx
Nuevo Dorado. A la recherche de la cité d'or
Hoëbeke
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 € ; 224 p.
ISBN: 9782072906954

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