9 janvier > Roman Etats-Unis

«Aucun de nous ne mène vraiment la vie à laquelle il a été préparé. Nous sommes nés à Beyrouth, Boston, Albuquerque, Rome, dans le Bronx, l’Ontario, à Antibes, Tel-Aviv […]. Certains d’entre nous sont végétariens. Certains boivent. Certains sont sous traitement. Peut-être chacun de nous a acquis la capacité d’opposer un NON vacillant à n’importe quelle affaire par trop florissante.»

Renata Adler- Photo RICHARD AVEDON/L’OLIVIER

Tenants du vraisemblable, amis des causes et des effets, passez votre chemin. Ni cette fille ni ce livre ne sont pour vous. Il faut pour goûter toute la beauté laconique et brillante de Hors-bord, le premier roman de Renata Adler, initialement publié aux Etats-Unis en 1976, réédité avec succès l’an dernier et enfin traduit en français, accepter le caractère accidentel de ses «éclats de récit», de ce kaléidoscope générationnel. S’il faut tout de même discerner absolument le bon grain de l’ivresse narrative, disons que l’on suit les plaisirs, les jours et les doutes de Jen Fain, une jeune journaliste plongée dans l’énergie et les faux-semblants du New York des années 1970. Conjuguant franchise et vulnérabilité, confondant sa vie, celle des autres et les rêves de tout le monde, Jen est une Alice perdue et retrouvée au pays des merveilles psychédéliques. Elle a un copain et puis bientôt plus, un travail, un toit sur la tête, des souvenirs comme autant de cahiers de brouillon et rien pourtant ne lui paraît plus douteux que le réel.

Finalement, peut-être d’avoir dû tant attendre (trente-sept ans !) pour découvrir enfin en France ce fascinant Hors-bord a-t-il eu pour vertu paradoxale d’offrir une perspective critique qui place Renata Adler à sa juste place, tout près de la seule auteure qui puisse lui être légitimement comparée : Joan Didion (même si son laconisme enchanté peut aussi la rapprocher d’un Hemingway). Comme la romancière de Maria avec et sans rien, Adler crée un monde d’une myriade d’impressions ; un monde ici comme précocement «pixellisé», qui semble annoncer le miroir brisé de notre postmodernité d’aujourd’hui. Fille de réfugiés allemands fuyant les persécutions, issue d’Harvard et du Bryn Mawr College, «it girl» des années 1970 (comme Didion là aussi), passée sous l’objectif d’Avedon et à la rédaction du New York Times et du New Yorker, sorte de Lena Dunham avant l’heure, Renata Adler, 74 ans, n’eut d’autre ressource que de faire oublier sa gloire trop pesante à son goût, au fin fond du Connecticut. C’est là que l’an dernier, les éditeurs américains sont venus la rechercher pour lui offrir une seconde jeunesse. En France aussi, on en jurerait, l’avenir lui appartient.

Olivier Mony

 

 

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