#MeToo

Vanessa Springora: "J’ai mis beaucoup de temps à me considérer comme une victime."

Vanessa Springora - Photo Olivier Dion

Vanessa Springora: "J’ai mis beaucoup de temps à me considérer comme une victime."

Dans un entretien à Bibliobs, l'auteure du Consentement, à paraître chez Grasset le 2 janvier, et nouvelle directrice de Julliard, explique pourquoi elle a enfin décidé de raconter sa version de l'histoire qui la liat à Gabriel Matzneff, alors qu'elle n'avait que 14 ans.

Par Vincy Thomas,
avec AFP, Bibliobs Créé le 30.11.2020 à 14h47

La parution du premier roman de Vanessa Springora, nouvelle directrice des éditions Julliard, provoque un séisme dans le secteur du livre. Le consentement, qui paraît la semaine prochaine chez Grasset, donne le point de vue de l’auteure sur une affaire pourtant connue et déjà écrite. Sur 200 pages comment elle a été séduite à 14 ans par le presque quinquagénaire (elle le nomme G.) au milieu des années 1980. 

Sans acrimonie, ni victimisation, Vanessa Springora évoque l'ambivalence d'une époque (où la libération sexuelle flirte avec la défense de la pédophilie), la fascination exercée par l'écrivain sur le milieu littéraire, ses proches et elle-même, puis le poids de cette histoire sur sa vie, ponctuée de dépressions. Mais elle donne surtout sa version des faits dans sa relation avec Gabriel Matzneff.

Le goût de Gabriel Matzneff pour "les moins de seize ans" est au cœur de son œuvre mais jamais l'une des adolescentes séduites par le sulfureux écrivain n'avait pris la parole: elle  décrit une relation sous emprise, qui se poursuit sur le terrain littéraire: l'écrivain écrit beaucoup et couche sur le papier ses conquêtes et aventures sexuelles, y compris avec des garçonnets lors de voyages en Asie. « Comme si son passage dans mon existence ne m'avait pas suffisamment dévastée, il faut maintenant qu'il documente, qu'il falsifie, qu'il enregistre et qu'il grave pour toujours ses méfaits », décrypte Vanessa Springora.

Réappropriation de l'histoire

L’auteure-éditrice a répondu à une interview parue aujourd’hui sur le site Bibliobs. Elle revient sur la genèse de ce premier roman : « J’ai toujours su que je ne pourrais me réapproprier cette histoire que par un livre, et pas autrement. Parce que ses livres à lui, ceux où il racontait notre histoire, ont redoublé ma souffrance » explique-t-elle, précisant également qu’elle a « commencé à écrire bien avant l’affaire Weinstein. »
 
Ce temps long, elle le justifie ainsi : « J’ai mis beaucoup de temps à me considérer comme une victime car justement j’avais été consentante. Mais j’étais tout de même en dessous de la majorité sexuelle. J’aurais donc pu aller en justice, sauf qu’à chaque fois je me disais : « J’étais consentante. » J’y ai repensé bien plus tard, il y avait prescription. Avec mon livre, j’ai entrepris autre chose, une réparation symbolique. »
 
Triple prédation

Vanessa Springora considère qu’elle a été « victime d’une triple prédation, sexuelle, littéraire et psychique. » Celui qu’elle accuse ne s’est d’ailleurs jamais caché, notamment avec son livre Les Moins de seize ans (Léo Scheer, 2005). « Un véritable mode d’emploi pour les pédophiles, parle de « chasse aux gosses ». Non seulement, il légitime des actes illicites qui peuvent détruire des vies, mais il joue la provocation. J’ai été effrayée par la violence de ce texte, par le fait qu’il ait pu paraître en 1974, et surtout qu’il ait été réédité en 2005 » avoue-t-elle.
 
Car jusque-là, il n’y avait qu’une version, celle du « pervers narcissique ». Il a d’ailleurs reproduit dans son journal des lettres que Vanessa Springora lui avait écrites, en gage de cet amour mutuel qui les unissait. « Je raconte cette fois où il m’a dicté ma propre rédaction, me faisant raconter ses souvenirs au lieu des miens. L’emprise allait jusque-là » déclare l’écrivaine. « Je me suis mise dans une posture de geisha : j’apprenais des gestes de façon mécanique, je me laissais faire, mais je n’étais pas à l’intérieur de mon corps. Je n’étais pas en mesure d’avoir un consentement éclairé. J’avais tant envie de lui plaire que j’étais totalement au service de ses désirs. Au début, il m’emmenait au théâtre, au cinéma, me faisait lire des livres et jouait au Pygmalion. Mais, en fait, notre activité principale, c’était le sexe. »

Déni et défenseurs
 
Celle qui travaille chez Julliard depuis 13 ans explique aussi l’omerta autour de ces faits. « On l’a laissé faire parce qu’il y avait l’aura de l’artiste. Son œuvre servait de caution. Mais au nom de quoi les dégâts seraient-ils moindres quand la personne qui commet ces actes est un artiste ? »
 
Cela ne l’empêche pas dans son entretien de rappeler qu’elle est « très attachée à la liberté d’expression ». Et elle ajoute : « Je ne veux pas que l’on censure les livres de Matzneff. Ils sont le marqueur d’une époque. Mais est-ce que les Moins de seize ans sont tolérables aujourd’hui ? Je pense que la meilleure réponse est d’encadrer ses textes avec, au minimum, un avertissement rappelant que les faits décrits sont condamnables ».
 
La sortie de l'ouvrage relance le débat entre défenseurs de l'écrivain, dénonçant une forme de puritanisme voire un procès fait à une époque révolue, et ceux défendant les victimes de violences sexuelles. Et remet un coup de projecteur sur la notion de consentement sexuel.  Gabriel Matzneff, dans un message à l'Obs, a fait part jeudi de sa « tristesse » au sujet d'un « ouvrage hostile, méchant, dénigrant, destiné à (lui) nuire. »
 

Les dernières
actualités