Essai/France 7 novembre Anne Boquel et Etienne Kern

Après Une histoire des haines d'écrivains : De Chateaubriand à Proust (Flammarion, 2009), Anne Boquel et Etienne Kern en remettent une couche, la couche qu'on appelle en peinture un repentir. A la noirceur d'un paysage littéraire où tout le monde se déteste, les auteurs des Plus jolies fautes de français de nos plus grands écrivains (Payot, 2015) ajoutent quelques touches de rose. C'est en fait Michel Tournier, auquel Boquel et Kern rendent visite en février 2010 peu de temps après la parution du premier ouvrage cité, qui leur suggère sur le ton de la boutade : « La haine ! La haine ! Maintenant vous devriez faire un bouquin sur les écrivains qui s'aiment... » C'est chose faite ici avec Le crâne de mon ami.

Véritable archéologie des affinités électives qui va « de Goethe à García Márquez », Le crâne de mon ami montre que si chez d'aucuns c'est le coup de foudre, chez d'autres ça commence même par un « conflit ». Henry James découvre l'article d'un illustre inconnu qui répond à son article précédemment paru dans la même revue, « L'art de la fiction ». Ce Stevenson, qui n'a publié qu'un récit de voyage, donne à ses lignes critiques le titre « Une humble remontrance » et étaye sa propre théorie du roman. « En un mot, James assigne au roman le but de "rivaliser avec la vie" quand Stevenson considère que c'est la "simplification de la vie" qui fait la valeur de l'œuvre littéraire. » S'ensuit un échange épistolaire, débouchant sur une invitation chez Robert Louis et Fanny Stevenson à Bournemouth. Une demi-heure suffit pour que s'engage une conservation passionnante. Stevenson adressera néanmoins une autre missive pour relancer la polémique : « L'amitié déjà est en germe, et tout dans cette lettre, semble faire écho à la puissante formule nietzschéenne : "Sois au moins mon ennemi", - c'est ainsi que parle le véritable respect qui n'ose solliciter l'amitié. »

L'amitié n'est pas qu'affaire de goûts littéraires communs mais aussi de bonne chère partagée, Goethe et Schiller devisent en buvant du punch (Goethe déteste la tisane), on s'envoie autant des textes que des victuailles. On est intime sans trop pénétrer dans la sphère de l'intimité. On mentionne au passage la mort d'un enfant sans s'y appesantir, les silences n'empêchent pas l'indéfectible lien. L'auteur des Souffrances du jeune Werther conservera le crâne de son cher ami Schiller, tant il se sent de sympathie avec le dramaturge disparu.

Virginia Woolf et Katherine Mansfield « se sont jugées dignes d'être rivales », parfois l'amitié est « la rencontre de deux douleurs » : l'une est minée par la dépression et le sentiment d'être une auteure ratée, et l'autre souffre de tuberculose et d'être abandonnée par un mari trop absorbé par ses fonctions.

Victor Hugo et Dumas, Kawabata et Mishima, ou García Márquez et Vargas Llosa... malgré un mémorable coup de poing - entre Patricia Vargas Llosa et l'auteur de Cent ans de solitude, il y eut apparemment anguille sous roche. L'amitié entre écrivains n'est jamais sans relief. Peut-on être amis dans la République des lettres ? Oui, écrivains et néanmoins amis.

Anne Boquel, Etienne Kern
Le crâne de mon ami : les plus belles amitiés d’écrivains, de Goethe à García Márquez
Payot
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 18,50 euros ; 304 p.
ISBN: 9782228922227

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