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À Étonnants Voyageurs, les écrivains vigies du monde

Paul Lynch, invité d’honneur du festival Etonnants voyageurs 2025 - Photo Fanny Guyomard

À Étonnants Voyageurs, les écrivains vigies du monde

« Écrire à l’ère de Trump », « Le crépuscule de la raison » ou encore « Dystopies pour penser demain ». Les intitulés des conférences données au festival Étonnants Voyageurs, du 7 au 9 juin 2025, annonçaient des rencontres politiques. La promesse a été tenue, avec des écrivains réfléchissant sur le rôle de la littérature.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 10.06.2025 à 15h06

« Oui, grâce aux penseurs, à ces sages,/ À ces fous qui disent : Je vois !/ Les ténèbres sont des visages,/ Le silence s'emplit de voix ! », écrivait Victor Hugo dans Les Contemplations en 1856. Presque deux siècles plus tard, les écrivains réunis au festival Étonnants Voyageurs endossent encore cette mission de visionnaires. Ou simplement de conteurs d’une réalité la plus juste possible. « Nier le réchauffement climatique, l’intérêt des vaccins… Quand on n’arrive plus à s’entendre sur ce qu’est la réalité, on aboutit à de graves problèmes de civilisation », a signalé Paul Lynch.

Son Chant du prophète (Albin Michel) « est un livre sur le déni de réalité », à travers un personnage qui refuse de voir un gouvernement populiste prendre de plus en plus le contrôle. « La fin du monde n’est pas un événement cataclysmique, biblique, mais un événement local. Elle frappe à votre porte et n’apparaît à d’autres qu’à travers les pages d’un journal. En Occident, nous nions le délitement de notre monde. On se dit : "ça ne peut pas arriver ici". »

D'homo sapiens à « homo flagrans »

Illustration par John Vaillant, qui raconte dans L’Âge du feu (éditions Noir sur Blanc) l’histoire d’un incendie ayant détruit en un jour Fort McMurray, l’une des villes les plus riches du Canada. Heureusement, ou hélas, les hommes font preuve d’adaptation, ou d’aveuglement : « En un mois, on a rebâti la ville et augmenté la production de pétrole, qui avait été à l’origine de l’incendie. La province de l’Alberta nie officiellement le réchauffement climatique. Une partie des Canadiens travaillent sous la fumée, mais n’ont pas tellement le choix, car ils ont un prêt bancaire à rembourser », développe le journaliste. Qui propose en tant qu’écrivain une nouvelle définition de l’Homme : du Sapiens rationnel, qui a appris à maîtriser le feu, on a glissé vers l’homo flagrans. Ardent, fougueux, outrancier.

John Vaillant à Etonnants voyageurs 2025
John Vaillant à Etonnants voyageurs 2025- Photo FANNY GUYOMARD

Revient alors au romancier de le bousculer. Comme Paul Lynch qui interroge l’inaction des citoyens face à un État abusif. Ou Ananda Devi quand elle ravive la mémoire de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre d’Algérie dans La nuit s’ajoute à la nuit (Stock), posant cette difficile question : « Que ferais-je dans cette situation-là ? ». Elle ajoute que « le livre est un monde où on peut commencer à se comprendre. Auquel cas on se laisse bouffer par le mensonge. »

Un moment de méditation, aussi, pour entendre notre philosophie intérieure. « Mais le bombardement des technologies nous empêche d’entendre cette voix tranquille », regrette Paul Lynch, qui mentionne Hannah Arendt : le totalitarisme survient quand on ne s’entend plus penser. « Mais je crois que c’est plus profond : c’est quand on n’entend plus notre propre dignité. »

Réactiver la mémoire

Une dignité qui se construit au travers des récits des origines : replacer chacun dans une histoire commune. Or, comme l’illustre l’Amazonien Daniel Munduruku, le Brésil a tendance à s’affilier à l’Europe et à ne pas reconnaître l’histoire des peuples autochtones. L’Américaine Lauren Groff rebondit : « Les livres scolaires de mes enfants ne disent pas que les États-Unis sont fondés sur un génocide. Et les Républicains n’aiment pas l’histoire des afro-américains ! Nous sommes tous amnésiques, ça me rend folle et me fait peur. Des écrivains pensent qu’il faut écrire l’avenir, moi je tiens à raconter ce qui s’est passé. » Reste à les écouter.

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