Faut-il sauver le soldat Brienne ? On a connu l'autrice le cœur chaud, La part des flammes embrasant les éditions Héloïse d'Ormesson en 2015 et recevant le Prix du livre France Bleu-Page des libraires et le Prix des lecteurs du Livre de Poche ; la voici sous l'eau, à L'Iconoclaste. Les grandes figures féministes du combat contre l'incendie du Bazar de la Charité ont laissé place, en dix ans, à un jeune homme dépenaillé, recueilli tel un chaton mouillé un soir d'orage. Mais quel orage ! Nous sommes en 1917, il pleut des obus. L'homme, en uniforme décati, sonne à la porte d'un domaine viticole au pied des Pyrénées-Orientales, là où Gaëlle Nohant a elle-même des racines.

La propriétaire, Isaure, ouvre puis referme : on ne veut pas d'un déserteur à L'Esparre. Mais sa fille, Rosalie, décide de donner asile à l'homme qui gît sur le sol de la véranda, « recroquevillé comme un animal blessé ». Par charité, elle conduit le fuyard au grenier pour l'y cacher. Théodore Brienne est artiste peintre. Il a connu l'expressionniste Franz Marc, tombé au champ en 1916, l'un des pères fondateurs du mouvement Der Blaue Reiter. Le poilu évoque également August Macke, un autre expressionniste, sans que cela porte, hélas, ses fruits dans l'histoire. L'intrigue évolue autour du dilemme moral entourant le déserteur : le dénoncer, comme le veut la loi martiale, ou le cacher, comme le souhaite le cœur - le père et le fils du château étant eux-mêmes au front.

Dans cette maisonnée, Rosalie, à peine plus âgée que le siècle, est une oie blanche qui aime les romans d'amour, l'amour dont elle ne sait rien, qu'elle pressent et consomme avec Théodore, avant de finir mariée et heureuse au bras d'un capitaine. La bonne, Marthe, est une peau de vache cupide et jalouse, qui se rachète toutefois à la fin. Théodore, bien qu'il soit artiste et en danger, est un homme qui ne vaut pas le mal que se donnent toutes ces femmes. Seule Isaure inspire le respect : prisonnière de son rang, de son sexe, certes, mais digne en tout. Elle est celle qu'on aime le plus dans cette romance, prête à tout pour sauver son domaine - comme la mère d'Un barrage contre le Pacifique de Duras-, où la question « avec ou sans homme » n'est finalement plus qu'une variable parmi d'autres.