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Hausse de la TVA du livre en Roumanie : « On tue la seule industrie qui contribue à former des citoyens éclairés »

La librairie Carturesti Carusel, à Bucarest - Photo Ben Pipe / Robert Harding Heritage /robertharding via AFP

Hausse de la TVA du livre en Roumanie : « On tue la seule industrie qui contribue à former des citoyens éclairés »

La Roumanie a relevé à 11 % le 1er août dernier son taux de TVA sur le livre. Une mesure décriée par l'ensemble des acteurs de la filière alors même que le marché du livre roumain figure parmi les moins dynamiques d'Europe.

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Par Kristen Anger
Créé le 25.09.2025 à 17h17

Ventes en berne, disparition des librairies et des bibliothèques, hausse de la TVA… Sur le plus petit marché du livre de l’Union européenne en valeur par habitant, le secteur de l’édition a des airs de « champ de bataille », affirme Mihai Mitrica, directeur de l’Association des éditeurs roumains. 

Incertitude économique

Se pencher sur le marché du livre roumain, c’est d’abord constater le manque de données quantitatives disponibles. La valeur du marché, hors livres scolaires, est estimée par les acteurs du secteur entre 60 et 120 millions d’euros en 2024. Un montant qu’il faut interpréter avec prudence. « Certes la valeur a progressé depuis 2008, mais c’est dû à l’augmentation du prix du livre, pas à celle du nombre de ventes, analyse Mihai Mitrica. En termes réels, le marché s’est réduit. »

Mihai Mitrica, directeur de l’Association des éditeurs roumains
Mihai Mitrica, directeur de l’Association des éditeurs roumains- Photo DINU BUBULICI

Les perspectives pour 2025 ne sont guère meilleures. Pour réduire le déficit record atteint l’année dernière, qui s’élève à 9,3 % du PIB, le gouvernement a fait le choix de couper dans les dépenses publiques. « Les mesures annoncées vont réduire le pouvoir d’achat des professeurs, des étudiants… Autrement dit, ceux qui achètent des livres », explique Barna Nemethi, directeur de la maison d’édition Curtea Veche.

Le secteur de l’édition n’a pas non plus été épargné, avec une TVA sur le livre passée de 5 à 11 % au 1er août dernier. « Pour récupérer quelques millions d’euros, on tue la seule industrie qui contribue à former des citoyens éclairés », résume Mihai Mitrica, amer. 

Éditeurs et libraires fragilisés

Alors que seuls 29,5 % des Roumains avaient lu au moins un livre en 2022, loin derrière la moyenne européenne (52,8 %), perdre des lecteurs pourrait être fatal pour les quelque 200 maisons d’édition et 250 librairies que compte le pays. « On ne peut pas réduire nos marges indéfiniment », alerte Barna Nemethi

Corina Suteu a été ministre de la Culture de la Roumanie en 2016
Corina Suteu a été ministre de la Culture de la Roumanie en 2016- Photo LIONEL SAMAHA

La trésorerie des maisons d’édition a en effet souffert en 2024 de la faillite de Diverta, la plus grande chaîne de librairies du pays et de l’insolvabilité du principal vendeur en ligne Elefant.ro, qui ont laissé de nombreuses factures impayées. Le système de distribution roumain fonctionnant en dépôt, les vendeurs ne payent les éditeurs qu’une fois les livres vendus. 

La diminution des canaux de distribution inquiète et tous les observateurs s’attendent à de nouvelles fermetures dans les prochains mois.

« C’est impossible pour une librairie de survivre en ne faisant que vendre des livres », regrette Oana Doboși, libraire indépendante contrainte de mettre la clé sous la porte au mois de juin. De fait, pour joindre les deux bouts, nombre de détaillants de livres se sont mis « à proposer de la papeterie, des jouets ou du café », ce à quoi la libraire ne voulait pas se résoudre. Pour elle, pas de doute, « il manque à la Roumanie une stratégie nationale pour le livre et la lecture ».

Le désengagement de l’État de la culture

Fait marquant, ces 35 dernières années, le poste de ministre de la Culture a été occupé par 34 personnes, dont Corina Șuteu en 2016. Cette dernière partage le constat d’une « absence de vision pour ce secteur, qu’on ne considère pas comme un investissement dans l’avenir. » Elle déplore l’« ignorance des autorités, bâtie au fil des années », dont l’abandon des bibliothèques publiques est pour beaucoup le symbole.

Oana Dobosi, libraire indépendante contrainte de fermer en juin 2025
Oana Dobosi, libraire indépendante contrainte de fermer en juin 2025- Photo RAUL STEF

Le nombre de ces infrastructures a drastiquement diminué depuis la chute du régime communiste, passant de 4 458 en 1990 à 1 853 en 2023. L’équivalent d’une bibliothèque publique pour 10 253 habitants, contre une pour 4 387 habitants en France. Dans les rayons, et c’est particulièrement le cas en zone rurale, les ouvrages sont vieillissants. « Ils ne sont pas adaptés aux besoins d’une société en constante évolution », rapporte Dragoș Neagu, président de l’Association des bibliothèques et bibliothécaires. Faute de budget, « il faut en moyenne 110 ans pour renouveler le fonds d’une bibliothèque roumaine », c’est dix fois plus que ce que recommande l’Unesco. Pourtant, signe de leur utilité publique, ces lieux sont de plus en plus fréquentés.

L’avenir du marché du livre

Cette situation précaire affecte la diversité du marché du livre roumain. « On ne peut plus se permettre d’investir dans des titres dont on n'est pas certains qu’ils trouveront leur public, or un livre a besoin de temps pour être connu et apprécié », rappelle l’éditeur Barna Nemethi.

C’est le cas à l’étranger, où les plumes roumaines connaissent un succès croissant. Chaque année, des dizaines de nouveaux auteurs sont traduits et s’inscrivent aux côtés de grands noms comme Gabriela Adameșteanu, Mircea Cărtărescu ou encore Ana Blandiana, qui depuis longtemps font rayonner la littérature roumaine au-delà des frontières nationales. Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que l’État gagnerait à soutenir les acteurs du champ culturel.

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