Histoire de l'édition

Larousse 3/3 : une révolution copernicienne

"Pour conduire ce changement, il fallait garantir la stabilité." Isabelle Jeuge-Maynart - Photo Olivier Dion

Larousse 3/3 : une révolution copernicienne

Sous la contrainte d’un revers survenu au milieu des années 2000, Larousse s’est lancé, il y a dix ans, dans une reconversion spectaculaire, du dictionnaire, toujours rentable mais en repli constant, à la jeunesse, au pratique et désormais aux essais et documents. Dernier épisode de notre série publiée à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de la naissance de Pierre Larousse.

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Par Hervé Hugueny,
Claude Combet,
Créé le 17.02.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 17.02.2017 à 11h06

Entre eux, les salariés l’avaient surnommé "L’Oréal" : publié à l’automne 2005, le Grand Larousse illustré en 3 volumes affichait un mannequin à la chevelure flamboyante, qui évoquait plus une publicité du groupe de cosmétiques que la belle semeuse, emblème de la maison. C’était une trouvaille du créateur Philippe Starck, chargé du design du coffret. L’ouvrage était complété d’un stylo multimédia qui reliait certains articles à des développements encyclopédiques, sur Internet ou sur CD-Rom, réponse à la concurrence déjà vive de Wikipédia. Vendu 250 euros, le tout était programmé pour être le cadeau de ce Noël 2005.

Ce fut un grave échec. Dès janvier, les retours s’accumulaient et, en avril, Hachette écartait Philippe Merlet, le P-DG d’alors, pour nommer Isabelle Jeuge-Maynart. Directrice d’Hachette Education depuis quatre ans, celle-ci avait auparavant relancé Marabout et arrivait avec la mission de redresser le fleuron des filiales d’Editis que le groupe avait pu garder dans le rachat de 2004, après redécoupage de son projet de reprise par la Commission européenne. "J’ai trouvé une entreprise d’une image incroyable, mais confrontée à des perspectives certaines de baisse sur son marché principal. Le public adore cette marque, mais comme un monument, comme un élément historique de l’édition déconnecté de son univers de consommation. Il ne fallait pas se laisser marginaliser, nous devions changer nos gammes pour sauver cette entreprise", explique-t-elle aujourd’hui, dans son bureau du troisième étage où nombre de cadres de la maison se sont vu signifier qu’ils n’avaient rien compris de ce que voulait leur nouvelle patronne.

Cocktail de bonnes ventes

"Au contact permanent des clients, les commerciaux ont vu peut-être plus rapidement que les éditeurs la nécessité de cette transformation pour redynamiser Larousse, tout en protégeant le dictionnaire. Leur appui a été déterminant dans cette période plus ou moins difficile, mais dix ans après, je trouve que les équipes ont remarquablement joué le jeu", se félicite Isabelle Jeuge-Maynart. De fait, depuis 2010 Larousse est redevenu constamment bénéficiaire, avec un chiffre d’affaires oscillant autour de 60 millions d’euros. Sous la direction de Christian Delaleu, les deux équipes de représentants, fusionnées l’an dernier contribuent au redressement, chargées maintenant de la diffusion de Milan et du segment parascolaire d’Hachette Education. Rattachées à leur direction nationale, les filiales étrangères ne font plus partie de ce périmètre.

L’éditeur a réussi son cocktail de bonnes ventes, réparties en 2016 selon les estimations de GFK entre dictionnaires (pédagogiques prescrits en classe et version poche du Petit Larousse), livres de cuisine (Tartes soleil & feuilletés pour l’apéro de Coralie Ferreira), beaux livres (un René Magritte), pratiques illustrés et grand public (Mon lookbook de Cristina Cordula, Une saison au zoo : l’album de l’émission de Cyril Hue), belle somme de référence (Le grand Larousse du vin à 39,95 euros), ou rééditions à petit prix (Saccage ce carnet… partout ! Créer c’est détruire, à 5,90 euros). Il y a dix ans, seuls les dictionnaires émergeaient dans le classement. "Ils représentent maintenant 30 à 40 % de l’activité, à égalité avec le pratique, que je dirige en direct avec Ghislaine Stora", indique Isabelle Jeuge-Maynart.

Ce profil très différent des meilleures ventes de l’entreprise témoigne de sa transformation profonde en une décennie. La direction est restée stable, premier changement remarquable par rapport aux dix années antérieures (1996-2006) au cours desquelles se succédèrent cinq P-DG. Ils avaient malgré tout connu quelques succès, tirant profit d’événements prévisibles mais non reproductibles (Le petit Larousse illustré du millénaire, en 2000, et celui du centenaire, en 2004, millésimé 2005). Mais en 2006, il a fallu solder les comptes de l’échec du Grand Larousse illustré : 10 millions d’euros de pertes, suivies encore de presque cinq millions en 2007, puis de 2 millions en 2008. Sans le soutien d’Hachette, les jours de Larousse étaient comptés, avait déclaré la toute nouvelle présidente à l’ensemble des salariés rassemblés dans le hall où trônait encore le buste du fondateur.

Bénéfices retrouvés

En 2010, le groupe a dû apurer les pertes et recapitaliser sa filiale, à hauteur de 15,9 millions d’euros. Hachette et son actionnaire Lagardère ont quand même fait une bonne affaire : au cumul des bénéfices retrouvés, qui compensent maintenant les pertes, il faut ajouter le montant d’une redevance de location-gérance de 5,5 % du chiffre d’affaires de Larousse. Elle est versée à Larousse SA, société qui détient le fonds de commerce de la maison et a remonté au groupe 38 millions d’euros de dividende depuis 2004. Un système mis en place sous l’ère Vivendi, que Lagardère a conservé.

Le redressement de l’entreprise est aussi passé par une forte réduction des effectifs, de 270 personnes en 2005 à 165 en 2015. "Les CDD n’ont pas été reconduits, mais il n’y a pas eu de plan social, ainsi que j’en avais pris l’engagement à mon arrivée. Pour conduire ce changement, il fallait garantir la stabilité", insiste Isabelle Jeuge-Maynart. Les départs en retraite, assez nombreux, n’ont pas été remplacés, ni les démissions, plus ou moins négociées. Tendue, la situation sociale dans cette entreprise qui avait connu une forte syndicalisation s’est limitée à quelques débrayages, des droits d’alerte ou d’exceptionnels hommages : la directrice du département langue française, Chantal Lambrechts, décédée en août dernier, avait ainsi été entourée d’une haie d’honneur lors de son départ contraint, en juin 2006.

La réorientation de la production et la baisse des effectifs se sont accompagnées d’une forte hausse de la productivité. L’an dernier, Larousse a publié environ 680 nouveautés et nouvelles éditions, soit plus du double de sa programmation du milieu des années 2000. Sur la même période, l’édition française a augmenté sa production d’environ 30 %. De 2004 à 2016, Larousse est passé du 36e au 6e rang de l’édition française en nombre de nouveautés. "En début d’année notamment, nous programmons beaucoup de nouvelles présentations ou de déclinaisons de titres existants, à petits prix et qui demandent moins de travail", explique Isabelle Jeuge-Maynart. Les titres à moins de 10 euros représentent 50 à 60 % du catalogue, contre 30 % au plus auparavant.

Relais de croissance

Dirigé par Carine Girac-Marinier, le département des dictionnaires et encyclopédies publie encore chaque année, à côté du très médiatique Petit Larousse illustré, des dizaines de références en français et bilingue dans tous les formats et tous les prix, pour répondre à chaque segment de marché, et occuper le terrain face au Robert. Au total, environ 200 nouveautés annuelles, évalue Carine Girac-Marinier. Larousse investit maintenant le périscolaire, pour les plus petits, et joue aussi de la nostalgie avec une collection de cahiers de vacances vintage, des jeux, des quiz, etc. "Larousse peut tout faire, ce n’est plus une question", s’exclame sa présidente. Quant au vieux fonds encyclopédique, il a servi de base à Larousse.fr, site gratuit et rentable, financé par la publicité. Avec les dictionnaires bilingues également en ligne, l’ensemble s’est fait une place à côté de Wikipédia, et permet d’observer la demande du marché.

Si le profil de la production a changé, la rentabilité dépend toujours beaucoup de ce département des dictionnaires. Selon le vieux schéma toujours pertinent du Boston Consulting Group, c’est ce que l’on qualifie en économie de "vache à lait": une activité dans laquelle il n’est pas nécessaire d’investir lourdement, qui dégage encore de belles marges dans un marché mature et finance les développements nécessaires dans d’autres secteurs. Comme devant un problème de baignoire qui fuit, digne des épreuves du certificat d’études reprises dans sa collection vintage, Larousse doit chercher des relais de croissance pour compenser le repli inéluctable des dictionnaires, comme l’avait anticipé sa présidente : en dix ans, la baisse atteint 40 %, indique-t-elle.

Moins en vogue aujourd’hui, les coffrets ont ainsi permis de réaliser de très bonnes ventes, "et ils ont ouvert le marché, attirant des clients qui n’achètent habituellement pas de livres". La cuisine a aussi été très porteuse. Larousse réinvestit maintenant la jeunesse, dans la continuité des tout débuts de la maison (voir encadré), et se tourne résolument vers les essais et documents. "A la tête de ce département, nous venons de nommer Sophie Descours, qui vient de Hugo & Cie. Nous allons recruter des auteurs, ce qui n’était pas dans la tradition de Larousse, et publier des essais dans la continuité de nos livres pratiques illustrés, mais en texte seul cette fois, sur un ton toujours accessible mais aussi engagé", annonce Isabelle Jeuge-Maynart.

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