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Simon&Schuster / Penguin Random House : « un procès qui pourrait se jouer à pile ou face »

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Simon&Schuster / Penguin Random House : « un procès qui pourrait se jouer à pile ou face »

Aux Etats-Unis, les audiences du procès intenté par l’administration Biden pour éviter le rachat de Simon&Schuster par Penguin Random House se sont terminées le 19 août, après trois semaines de débats devant la cour du district de Washington. Le journaliste Andrew Albanese, du média spécialisé Publishers Weekly, n’a pas manqué une minute d’audience avec son équipe. Pour Livres Hebdo, il revient sur les temps forts des échanges et donne son point de vue sur la décision du juge -attendue en novembre- qui pourrait se jouer « à pile ou face ».

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Par Eric Dupuy,
Créé le 19.08.2022 à 17h22 ,
Mis à jour le 19.08.2022 à 20h08

Le 25 novembre 2020, Bertelsmann, maison mère de Penguin Random House, était devenue l'enchérisseur gagnant pour racheter l'éditeur Simon & Schuster, pour un montant de 2,175 milliards de dollars. Le 2 novembre 2021, le ministère américain de la Justice a intenté une action en justice pour bloquer l'acquisition. Le procès s'est déroulé devant la Cour de justice du district de Washington du 1er au 19 août. Andrew Albanese est rédacteur en chef adjoint de Publishers Weekly. Avec son équipe, il a couvert le procès au jour le jour et dresse le bilan des débats, en attendant la décision de la juge Caroline Pan prévue début novembre.

Livres Hebdo : Vous avez couvert au quotidien le procès entre l’administration Biden et le numéro un de l’édition Penguin Random House (PRH) pour le rachat de Simon&Schuster (S&S), attendu depuis la fin 2021. Comment se sont déroulés les débats ?

Andrew Albanese : Le procès s’est déroulé exactement comme prévu. A part quelques surprises d’ordre procédurier, les témoignages ont suivi de près les conclusions des mémoires rendues avant le début du procès.

Qu’ont fait valoir chacune des deux parties durant les audiences ? 

Le gouvernement a tenté de prouver que le rachat de S&S par PRH nuirait à la concurrence du secteur dans une proportion illégale. Sa thèse reposait principalement sur la réduction des avances d’auteur et plus précisément celles dépassant les 250 000$. De leur côté, les avocats de Penguin et S&S ont tenté de démontrer que ce marché (des auteurs aux avances à plus de 250 000$, ndlr) n’existait pas et était une pure invention du gouvernement. Ils ont ajouté que si on prenait en compte cette théorie, la fusion aurait potentiellement un impact sur un si petit nombre de livres que l’affaire est bien en deçà de la norme juridique en matière de comportement anticoncurrentiel.

Comment s’est comportée la juge durant les audiences ?

Je pense qu'elle a bien saisi les particularités de l'industrie du livre. Elle a interrogé les deux camps avec le même scepticisme, en particulier les experts économiques. Beaucoup dans l'industrie de l'édition ont aimé écouter les dirigeants et les agents littéraires parler maladroitement des raisons pour lesquelles l'industrie du livre ne suit pas les mêmes règles du marché que les autres industries, mais au final, malgré quelques excentricités, la juge Pan a semblé comprendre que le marché des droits du livre ne défie pas l'économie rationnelle.

C’est-à-dire ?

Je crois qu’elle a compris que le principal problème n’est pas que le « Big Five » de l’édition devienne un « Big Four », mais plus précisément que Penguin Random House sera un « Big One » s’il finalise cette fusion. D’après ses questions, Caroline Pan a semblé convaincue que seuls les grands éditeurs peuvent se permettre régulièrement une compétition sur des montants dépassant 250 000$ et qu’en ce sens, la fusion PRH-S&S aurait un impact sur ces transactions.

Selon vous, la juge a-t-elle déjà sa décision en tête ?

Ce dont je ne suis pas encore convaincu, c'est de savoir si elle pense que le gouvernement a levé les obstacles juridiques nécessaires pour bloquer l'accord. La loi antitrust est compliquée. Cette affaire est inhabituelle car elle allègue un préjudice dans un sous-marché, lui aussi nouveau. Comme la plupart des acteurs de l'industrie, je pense que le juge Pan est sceptique quant au fait qu'une acquisition de S&S par PRH soit une bonne chose pour l'industrie, mais la question de savoir si l'accord doit être déclaré illégal est une tout autre affaire. Nous devrons attendre pour voir.

Qu’en pensent, selon vous, les juristes ?

Les observateurs juridiques me disent qu'ils voient le cas d'un pile ou face.

Que va-t-il rester de ces audiences, pour l’industrie du livre américain en général ?

Pour moi, toute cette affaire judiciaire me semble trop peu, trop tard. L'application des lois antitrust aux États-Unis a été si absente pendant si longtemps et la consolidation dans l'industrie de l'édition est allée si loin que je me demande si le blocage de l'accord aurait un impact positif sur les auteurs et les lecteurs. En fait, bloquer l'acquisition pourrait avoir un impact négatif. Simon & Schuster sera vendu, quoi qu’il arrive. Et il pourrait trouver un repreneur moins docile que PRH. C'est quelque chose que le gouvernement semble avoir finalement compris et qui éclaire sur l’issue de l’affaire. Mais quel que soit le résultat ici, les années et les décennies à venir raconteront l'histoire. Cette action marque-t-elle le début d'une nouvelle ère dans la politique de la concurrence ?

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