Du rouge et du noir. « Voici un livre des plus curieux, des plus singuliers, et tout à la fois des plus difficiles à analyser qui nous soient tombés sous la main. » Ainsi s'exprime en 1822 dans le Journal de Paris un critique signant BL à propos de De l'amour de Stendhal. Or BL n'est autre que Stendhal lui-même, pseudonyme d'Henri Beyle. C'est une des perles de ce recueil inédit de chroniques qui ne figurent pas dans « La Pléiade ». Pour une bonne raison. Il a fallu mener l'enquête pour savoir qui se cachait derrière ces initiales. Le professeur de sociologie historique Olivier Ihl s'est montré un investigateur hors pair. Dans son introduction, il délivre toutes les preuves. Stendhal a bien écrit dans le Journal de Paris deux cent cinquante articles entre 1819 et 1827, y compris sur lui-même. « BL est le critique qui, de son vivant, a le plus recensé de livres de Beyle. » Et BL en parle bien, non sans quelques réserves : « Il plairait certainement à plus de trente ou quarante lecteurs, s'il était généralement plus clair, plus châtié, plus heureux dans le choix de ses anecdotes, plus intelligible dans ses citations, ses allusions et ses notes. » En somme, BL pointe les défauts qui font les qualités de Stendhal. Il réitère quelques mois plus tard en traitant Racine et Shakespeare du même « M. de Stendhal ». Là encore, BL connaît son auteur. « Il parle peu, il va droit au fait. » Il est assez franc avec lui-même. « Je voudrais avoir assez d'espace pour essayer de défendre ces critiques français qui l'irritent si fort. » Ce Stendhal par lui-même est assez surprenant et c'est sans conteste le petit trésor de ces chroniques qui évoquent aussi l'économie, la science, le théâtre, la littérature - il n'épargne pas Han d'Islande d'Hugo - et les mondanités parisiennes. La vivacité est là. L'œil est redoutable. Rien ne lui échappe. Comme ce dialogue entre une comtesse et une baronne à propos d'un conte fantastique de Nodier. Il invente aussi un certain Bouquinard, « libraire étalagiste » sur les quais parisiens qui s'insurge contre l'interdiction de la vente d'ouvrages « dangereux pour les mœurs ». Stendhal est bien là ! Contre la censure et l'ennui. Voilà pourquoi il fait l'éloge du Dictionnaire infernal de Collin de Plancy. Infernal, comme ce chroniqueur narquois qui souffle sur le rouge du feu en se moquant du noir romantique.