Entretien

Mélani Le Bris (Etonnants Voyageurs) : "nous avons tous besoin d'écouter la voix des auteurs"

Melani Le Bris

Mélani Le Bris (Etonnants Voyageurs) : "nous avons tous besoin d'écouter la voix des auteurs"

Moins d'un mois avant le début du festival des Étonnants Voyageurs à Saint-Malo (35), Mélani Le Bris, la fille de Michel Le Bris, fondateur du festival littéraire décédé en janvier, revient sur les nouveautés de cette 30e édition forcément pas comme les autres. Dans un format hybride et semi-virtuel, l'évènement proposera des débats avec 50 auteurs, présents sur place. 

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Par Thomas Faidherbe,
Créé le 03.05.2021 à 21h19

Les festivals sont à l'arrêt depuis plusieurs mois. Pour autant, certains font de la résistance et proposent des éditions en ligne. C'est le cas des Etonnants Voyageurs, le festival international du livre et du film de Saint-Malo, qui se tiendra du 22 au 24 mai. Melani Le Bris, co-organisatrice de l'événement revient avec Livres Hebdo sur les changements de cette édition, qui célèbre les 30 ans de la manifestation. Ellet évoque ses réflexions sur le futur du festival, suite au récent décès de son père, Michel Le Bris, fondateur de ce rendez-vous incontournable du printemps. 
 

Qu'est-ce qui a changé pour Etonnants Voyageurs après une année de pandémie mondiale? 

Le principal changement, c'est que l'on ne pourra pas accueillir de public cette année encore. Nous avons décidé et opté pour un format hybride. L'année dernière, le festival avait été annulé. Nous étions tous sous le coup de l'arrivée de la Covid. On n'avait pas eu le temps de s'y préparer. Nous avions donc décidé de ne rien faire. Cette année, nous avons anticipé les choses et réfléchi à une forme qui nous ressemble. Nous avons trouvé ce format hybride qui consiste à faire venir les auteurs physiquement à St Malo. Il y aura à peu près 50 auteurs, sur place, afin d'organiser de vraies rencontres "en présentiel" et avec des animateurs. Ce sera un festival semi-virtuel, parce que le public ne pourra pas être présent, mais il pourra tout de même regarder en ligne.

Malgré la pandémie et les restrictions sanitaires actuelles, il était important de maintenir l'événement ?

Bien sûr. Un festival qui se retrouverait annulé deux années de suite, ça serait compliqué pour rebondir ensuite. C'était essentiel qu'on arrive à faire quelque chose. C'est aussi important parce que le climat actuel est extrêmement morose. Je pense que nous avons tous besoin de culture et d'écouter la voix des auteurs. Après on ne maîtrise pas tout, beaucoup de choses peuvent se passer dans le mois qui arrive. Malgré tout, on a décidé de prendre le pari d'essayer de relever le défi et de monter l'événement.

Quelles sont les nouveautés de cette année ?

Pour cette nouvelle édition, nous avons quatre plateaux/chaînes de TV différents, qui fonctionnent simultanément sur notre site internet. La première rassemble les débats en continu, en résonance avec ce qu'il se passe actuellement dans le monde depuis un an. Le deuxième lieu sera dédié à des rencontres autour des livres et des grands entretiens avec des auteurs, d'une durée approximative de 45 minutes. Il y aussi le café littéraire, qui est un lieu de partage avec des rencontres autour des derniers livres et enfin un espace dédié à la poésie. Nous allons essayer aussi de profiter du fait que l'on puisse déplacer les gens dans les établissements scolaires. Nous allons faire venir des auteurs en amont du festival pour faire des rencontres dans les écoles, collèges et lycées de Saint-Malo. On réfléchit aussi aux manières de faire vivre le festival dans la ville. Nous aimerions organiser des signatures. C'est pour cette raison que des partenariats sont en train d'être réalisés avec les librairies. Nous voulons retrouver les grands rendez-vous du festival, en organisant des débats autour de l'imaginaire, du voyage, des illustrateurs. On va essayer de condenser les thématiques qui font l'identité du festival.
 



Etonnants Voyageurs seront retransmis en direct et en ligne, quelles sont les autres mesures en phase avec les conditions sanitaires ?

Nous sommes en attente des protocoles qu'on devra suivre. Les débats seront enregistrés depuis le Palais du Grand Large. Le dernier étage leur sera exclusivement réservé. Nous allons faire attention à ce qui n'y ait pas plus de six personnes par salle, avec la distanciation sociale, les panneaux de plexiglas entre les gens pour limiter les risques. On invite tous les participants à faire un test PCR avant de venir. 

Vous avez décidé d'inviter 50 auteurs à se déplacer physiquement pour trois jours de rencontres. Est-ce un choix important d'inviter sur place les artistes en temps de crise ?

Effectivement, c'était important d'avoir un moment d'échange physique entre des gens. C'est l'une des particularités du festival. A travers ces rencontres, on crée du lien. Il était important d'avoir cet aspect humain, qui n'a rien à voir avec les débats à distance. C'était une part de l'âme du festival qu'il fallait préserver. C'est aussi important pour la chaîne du livre, pour qu'elle puisse continuer à exister. Il est difficile pour un auteur de voir ses livres publiés, sans pouvoir en parler. On a invité Mathias Enard, Franck Bouysse, Céline Curial, Dany Laferrière, Colin Niel, George Olivier Chateaureynaud, Cedric Herrou, Serge Joncour, Judith Perrignon, Diane Meur, Pierre Cassou-Noguès, Bruno Latour et Etienne Klein (toute la liste ici, ndlr).

Le festival Etonnants Voyageurs a révélé une génération d'auteurs francophones, notamment américains et africains. Comment percevez-vous le succès qu'ils rencontrent aujourd'hui ?

Depuis toujours, nous sommes très attentifs à la littérature francophone. Dans l'idée, le manifeste pour une littérature monde en français en 2007 c'était vraiment ça. On se réjouit de voir des écrivains de langue française partout dans le monde, qui trouvent un certain écho. Nous nous sommes exportés à Bamako mais aussi en Haïti, nous avons fait découvrir ces littératures au public. La dimension francophone est extrêmement présente et le restera cette année malgré le fait que l’on ne puisse pas faire venir des auteurs de l’étranger. 

Qu'apportent-ils à la langue française ? 

On s’est rapidement aperçu que toutes ses littératures en langue française, écrite par des auteurs africains, haïtiens ou caribéens, avaient redonné presque vie à la littérature de langue française. Ce sont des littératures qui font bouger les choses, parce qu’il y a une urgence de dire et à écrire. Quand on découvrait des auteurs haitiens comme Makenzy Orcel, on voyait bien que ses livres étaient un cri de rage.

2021 est une année spéciale pour Etonnants voyageurs avec la perte de son fondateur, Michel Le Bris. Quelle empreinte laisse-t-il ?

Pour moi, le festival c'était l'émanation de toute son œuvre. Chaque année, sa pensée se déployait à travers les débats et les rencontres. Récemment, je replongeais mon nez dans ses premiers livres, L'homme aux semelles de vent, le paradis perdu. Je m'aperçois que toutes les lignes de force d'Etonnants Voyageurs étaient déjà présente: les questionnements, l'idée de la transcendance, la passion pour toutes les littératures de la marge (SF, Polar, Littérature de voyage), vues comme des sous genres. Tout le festival a travaillé à réhabiliter ces littératures. Il était impliqué dans toutes ces questions qui bouleversent la société. C'est pour cette raison que cette année, le festival poursuit le même esprit en se demandant "comment les auteurs racontent le monde qui les entourent ?".

De quelle manière comptez-vous lui rendre hommage ?

Michel Le Bris n'était pas un grand fan des hommages. Mais le meilleur hommage que l'on puisse faire, c'était d'arriver à faire que le festival se tienne, parce que c'était important pour lui. A titre personnel, j'aimerais qu'il soit présent tout au long du festival à travers les débats qui le passionnent chaque année. Chaque année, lorsque nous faisions la programmation, il avait envie de participer à tous ces débats. J'aimerais qu'on pense à lui sur les différentes thématiques, à travers des lectures de textes, des évocations de souvenirs. De cette manière, il pourrait être présent en filigrane tout le long du festival. 

D'habitude, le festival est payant pour les visiteurs. Exceptionnellement, l'édition 2021 est gratuite. Comment justifiez-vous ce choix ? 

Nous ne nous sommes pas posés la question. Très vite, on a décidé de le rendre accessible gratuitement. Si on le fait en ligne, on le fait gratuitement, car internet c'est ça aussi. C'est intéressant de voir comment cela peut toucher des publics auxquels on ne s'attendait pas forcément. L'expérience n'est pas inintéressante, même si on espère pouvoir refaire un "vrai" festival en 2022e.

Cela fait des mois qu'il n'y a plus eu de festivals en présentiel, en raison des restrictions sanitaires. Dans quel état d'esprit êtes-vous à un mois du lancement ?

Tout le monde a très envie qu'il ait lieu. Nous sommes tous très heureux de pouvoir se projeter dans quelque chose après plusieurs mois difficiles. Là, en aynt de nouveau un but, on retrouve de l'énergie.

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