Journal du confinement

Caroline Coutau : “l’inquiétude devient lancinante”

Caroline Coutau - Photo DR.

Caroline Coutau : “l’inquiétude devient lancinante”

Trente-et-unième épisode du Journal du confinement de Livres Hebdo, rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd'hui Caroline Coutau, des éditions Zoé (Suisse).

Par Michel Puche,
Créé le 20.04.2020 à 21h00

« A Genève, les librairies sont fermées, les écoles aussi. Le sable, la balançoire et le skatepark ont été entourés d’un horrible ruban rouge et blanc, barrière symbolique à l’usager. Comme partout, on éternue dans son coude et on garde ses distances avec le sentiment troublant d’être dangereux les uns pour les autres.

Sur l’autoroute, déserte, il y a des panneaux lumineux qui nous assènent des "RESTEZ A LA MAISON", alors quand je monte le samedi dans les montagnes marcher entre deux lectures de manuscrits sans téléphone, j’ai l’impression d’être une délinquante. Mais non, en Suisse, on est en semi-confinement, c’est "au citoyen de se responsabiliser". La police amende les groupes de plus de cinq personnes, mais on peut se déplacer. OK se disent beaucoup de libraires, faisons de la vente en ligne.

Payot, après la première semaine de fermeture des magasins, a dû s’arrêter quinze jours pour s’organiser notamment d’un point de vue sanitaire, puis a pu reprendre son service de vente à distance. Un nombre important de petites librairies livrent aussi, heureux pour certains de changer leurs habitudes et d’avoir un lien avec leurs clients,  pendant que d’autres sont gênés par une communication trop laborieuse. Le chiffre reste certes symbolique et le réassort arrive au compte-gouttes, les distributeurs font ce qu’ils peuvent, il n’y a pas de miracle.

« J’entends les oiseaux »

7h30, un jour de semaine, je prends mon vélo très normalement. Ce qui l’est moins, normal, c’est le temps que je mets pour rejoindre le bureau. De trente minutes de montée, je suis passée à vingt et j’entends les oiseaux. C’est encore mieux que pendant les vacances d’été. Je continue de croiser la doctoresse qui travaille avec les toxico-dépendants à l’hôpital, elle descend je monte, nos saluts se sont faits plus complices récemment.

Arrivée au bureau, Yannick est déjà là, on s’est donné rendez-vous pour nous enregistrer chacun. La semaine prochaine, ce sont les réunions – virtuelles cette fois – avec les représentants pour nos nouveautés de la rentrée. Yannick tourne tous les teasers vidéo avec nos auteurs pour le site, il a l’habitude, et me suggère goguenard de lâcher ce stylo avec laquelle je n’arrête pas de taper la table en parlant du troisième roman d’Elisa Dusapin et du deuxième de Colombe Boncenne. A son tour pour Vladislavic sur Mohamed Ali, il est bon !

Ensuite, téléphone avec le secrétaire général de Livresuisse, l’association romande des éditeurs, libraires et diffuseurs que je préside : c’est la crise dans la crise, on est tous aux abois, il faut rédiger lettres, mails, prendre des contacts pour comprendre. Car le gouvernement à Berne a décidé d’exclure libraires et éditeurs du soutien à la culture dans le cadre de la pandémie. Même si la Suisse est décentralisée (un peu à l’américaine), la décision fédérale pèse sur les cantons, qui semblent obligés de s’en tenir au cadre national, bien qu’ils estiment la décision injuste. Côté soutien aux PME, la « solution » de prêt garanti par l’Etat n’en est pas vraiment une, puisque les ventes que nous allons perdre ne seront pas rattrapées. Nos marges étant pratiquement inexistantes, se lester d’une dette que nous ne pourrions pas rembourser fait peur.
Du côté de Genève, même si l’espoir d’une aide est mince, il nous faut absolument estimer les pertes subies : on réfléchit avec la présidente du Cercle genevois de la librairie et de l’édition, nouveau téléphone. Comment calculer ? Chiffre d’affaires, charges, perte sèche ? Il faut accorder nos violons entre libraires et éditeurs.

« Un régime de semi-confinement »

Le temps passe très vite, c’est déjà 15 heures, l’heure de la réunion hebdomadaire avec toute l’équipe. Un rendez-vous qui a une plus grande importance depuis que tout le monde est en télétravail, on prend le temps nécessaire et pas question depuis quatre semaines de sauter ce moment. La représentante est confinée à La Chaux-de-Fonds, tous ses rendez-vous en librairie ont été annulés. Au stock, après un mois de mars à traiter les retours en attente, l’activité s’est réduite comme peau de chagrin, un passage deux heures par jour suffit largement. Mais que ce soit côté diffusion ou édito, on communique sur les réseaux, par téléphone, par mail, par Zoom depuis nos cuisine, salon, balcon. Et à tour de rôle, c’est passage au bureau pour aller chercher les épreuves corrigées, faire la compta, relever le courrier, ramener les mansucrits lus et piocher les nouveaux, pour changer d’air aussi… Parce que oui, même sous un régime de semi-confinement, on manque d’air, je me languis de mes allers-retours en France, les conversations joyeuses qui compensent la tension permanente de nos métiers sont trop rares depuis le 17 mars, vivement qu’elles reprennent le dessus sur l’inquiétude qui devient lancinante. »

Et vous ? Racontez-nous comment vous vous adaptez, les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous inventez en écrivant à: confinement@livreshebdo.fr
 
 
 

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