Journal du confinement

Marie Noble : "qu'est-ce qu'une foire aujourd'hui ?"

Marie Noble, commissaire générale de la Foire du livre de Bruxelles, en confinement le 15 avril - Photo Léone Alegria.

Marie Noble : "qu'est-ce qu'une foire aujourd'hui ?"

Vingt-huitième épisode du Journal du confinement de Livres Hebdo, rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd'hui Marie Noble, nommée en février commissaire générale de la Foire du livre de Bruxelles.

Par Fabrice Piault,
Créé le 16.04.2020 à 20h00

« Il y a cinq petites semaines, l’équipe de la Foire du Livre de Bruxelles clôturait le dernier salon en Europe. La dernière ligne droite avant l’événement fut assez surréaliste. L’équipe qui préparait cette foire et l’adoption de mesures sanitaires particulières devait également être capable de prévoir à chaque instant son annulation ou sa fermeture. Mais l’événement s’est tenu du 5 au 8 mars. Et ce fut le dernier d’envergure en Belgique. Il battait son plein alors que nous apprenions les annulations de Paris, Bologne, Londres.  
 
Alors, avons-nous été d’irréductibles Gaulois ou de grands inconscients ? A ce moment, nous étions en liaison constante avec les autorités et avons scrupuleusement suivi les conseils fédéraux, ceux de l’OMS, de la Croix-Rouge et de l’Europe. La foire s’est tenue avec ses visiteurs, ses exposants, des centaines d’auteurs, les représentants du monde politique et des gouvernements de Belgique, dans un esprit bon enfant malgré le dispositif sanitaire mis en place. Et ne sachant pas encore que cela serait le dernier événement culturel avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Puis il a eu l’effet TGV lancé à pleine allure s’arrêtant net en rase campagne. Plus rien que le chant des oiseaux. Tous les rassemblements interdits.

S'adapter à cette durable distanciation

Il est toujours tentant de réécrire l’histoire après coup.  Ce qui demeure en tous cas essentiel, c’est de se poser les bonnes questions pour la suite. Ces questions et ces intuitions, elles ne sont pas simples à partager pour l’instant. Confinement oblige. Depuis un mois, je me retrouve donc à la tête d’une institution que j’apprends à connaître par écrans interposés. Et d’abord une équipe qui prend le temps de se remettre des efforts déployés. Parce que l’inquiétude l’a habitée, elle aussi. 
 
Et puis il y a les éditeurs, les auteurs, les partenaires, les diffuseurs, qui me confient leurs réflexions. Vers où allons-nous ? Qu’est-ce qu’une foire aujourd’hui ? Comment s’adapter à cette durable distanciation ? Toutes ces questions aussi urgentes que passionnantes me font puiser dans les fondamentaux. Quelles sont nos missions à la foire ? Ne sommes-nous pas d’abord des passeurs, des médiateurs ? En tous cas, notre modèle à Bruxelles est fort différent des foires et salons organisés ailleurs par des entités commerciales. 
 
Surtout, quelle est notre vision ? Je m’inspire d’expériences passées pour nourrir mes intuitions. Et je suis de près les événements à Bologne et les autres manifestations qui ont décidé de se tenir virtuellement. Nous allons mener ici un travail collégial dans les semaines à venir avec des représentants de la chaîne du livre afin de répondre à ces questions. C’est un ADN collectif et partagé qui tentera de se dégager pour la mi-juin.  C’est le bon moment pour se réinventer. Pour faire face aux multiples incertitudes avec créativité, singularité et courage.  

Plus d'Europe et plus de monde

Mais vous dire d’emblée ce qui m’anime : être créatrice de lien et de passerelles. Je voudrais plus d’Europe et plus de monde. Nous avons la chance d’habiter, après Dubaï, le territoire le plus multiculturel au monde : 184 nationalités et autant de langues et de littératures. La foire ne doit pas se limiter à l’espace francophone en terme de propositions ou de marché des droits. Bruxelles est une ville ultra connectée autant pour les professionnels que pour les publics. Il est bon de l’acter.

Deuxièmement, il faut sortir des murs de Tour & Taxis [le lieu d'accueil de la Foire du livre de Bruxelles, ndlr]. Bon nombre d’opérateurs et acteurs culturels tant bruxellois que du reste de la Belgique seraient intéressés par une « Semaine du livre » ou pourquoi pas un « Mois du livre ». Ils pourraient être des relais (ou satellites) magnifiques, en imaginant d’autres liens, d’autres contrechamps plus intimes.

Troisièmement, comme j’ai pu l’expérimenter dans mes fonctions précédentes, il serait formidable de s’attarder sur la dimension transdisciplinaire de la lecture par le prisme de la musique, du théâtre, de la poésie ou de la gastronomie. Et inventer des voyages du livre ! Le dossier “Le livre en scène”, publié par Livres Hebdo le 13 mars dernier [LH 1254], est très inspirant à ce sujet.
 
Tout ça m’occupe bien l’esprit. Trois mots au cœur de la réflexion : lien, langage, livre. Et puis plus d’intime, plus d’atmosphère.
    
Enfin les vers d’Emily Dickinson
Hope is the thing with feathers 
That perches in the soul -
And sings the tune without the words -
And never stops - at all -
 
Les trains sont à l’arrêt, les oiseaux chantent l’espoir. Ecoutons-les. »

Et vous ? Racontez-nous comment vous vous adaptez, les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous inventez en écrivant à: confinement@livreshebdo.fr

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