Journal du confinement

Juana Macari : “je peux continuer à me projeter”

Juana Macari - Photo DR.

Juana Macari : “je peux continuer à me projeter”

Vingt-cinquième épisode du Journal du confinement de Livres Hebdo, rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd'hui Juana Macari, directrice du centre culturel Una Volta, à Bastia, qui revient sur l'annulation des Rencontres de la bande dessinée et de l’illustration.

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Par Michel Puche
Créé le 13.04.2020 à 13h00

« 2020,  c’est  "L’Année  de  la  bande  dessinée",  a  décidé  le  ministère  de  la  Culture.  Les  festivals de bande dessinée soutenus régulièrement par le Centre national du livre, dont BD à Bastia, saluent l’initiative. D’autant que le CNL nous a demandé de rêver, de faire des propositions exceptionnelles. Qu’à cela ne tienne, BD à Bastia a proposé trois projets que  l’association  n’aurait  pas  les  moyens  de  porter  habituellement :  une  résidence  de  création à l’école avec deux autrices et deux spectacles avec du dessin live.

2  mars.  Jusqu’à  présent,  mon  équipe  et  moi  pratiquons  la  méthode  Coué.  Nous  sommes à un mois du festival et nous répondons à qui nous interroge, que, bien sûr, le festival aura bien lieu, et pour le moment tout se déroule parfaitement bien.
5  mars.  Je  suis  à  Paris  pour  une  réunion  au  Centre  national  du  livre.  Arrivée  sur  les  lieux, on me prie avant toute chose d’aller me laver les mains. Les discussions ont pour objet  la  rémunération  des  auteurs.  De  nombreux  festivals  sont  présents.  Après  la  réunion, nous profitons d’être réunis pour boire un verre. Je fais part pour la première fois  de  mes  inquiétudes  concernant  une  annulation,  et je  songe  aux  milliers  de  Corses  partis  en  vacances  d’hiver  en  Italie,  où  la  situation  s’aggrave.  L’équipe  de  Lyon  BD  y pense aussi. Ils sont situés, dans le calendrier, au début du mois de juin…
9 mars. Avec le recul, je dirais que, comme tout le monde, j’ai mis du temps à comprendre ce  qu’il  se  passait  vraiment.  Je  prends  conscience  de  la  gravité  de  l’épidémie  très  progressivement, mais je n’ai pas envie de lui céder une once d’énergie. Je me concentre sur l’accomplissement  de  ma  mission  la  plus  importante  de  l’année:  mener  à  bien  BD  à  Bastia. Mais  ce  lundi,  je  sens  bien  que  le  curseur  se  déplace  tout seul :  l’Italie  vient  de  décider  le  confinement pour 10 millions de personnes au nord du pays.
11 mars. C’est mon anniversaire. L’Italie est passée au confinement généralisé. Margaux Othats et Marion Duclos sont à Bastia pour leur dernière semaine de résidence à l’école. Depuis  novembre  2019,  elles  sont  intervenues  une  semaine  par  mois.  Elles  ont  déjà  bravé  deux  tempêtes  et  surmonté  l’une  des  nombreuses  périodes  de  grève  contre  la réforme des retraites. Les retours sur cette expérience avec les enfants sont d’ores et déjà superbes, sans compter tout ce temps si bien partagé. 

« Une  zone  floue,  particulièrement  stressante »

Mais  ce  mercredi,  la  pression  est  montée  d’un  coup.  Comme  si  j’avais  engrangé  maintenant assez d’indices pour comprendre que ma position du coûte que coûte est intenable. Difficile  aussi  de  conserver  la  motivation  de  l’équipe  qui  perçoit  le  glissement.  Nous  devrions être sur notre dernière ligne droite, dans l’effervescence du bouclage, alors que l’ambiance se tend autour de nous.
Je  passe  un  coup  de  fil  à  un  contact  à  la  préfecture  de  Haute-­Corse  pour  prendre  le  pouls.    Elle  me  confirme  que  les  choses  sont  mal  engagées  pour  début  avril,  même  si pour l’instant aucune mesure officielle n’interdit l’ouverture des expositions et l’arrivée des auteurs invités. Le président de la République doit faire une allocution le lendemain soir, nous en saurons plus alors. 
Je  reste  dans  une  zone  floue,  particulièrement  stressante,  car  on  ne  me  donne  pas  de  règle  précise  et  définitive  pour  tout  annuler.  En  tant  qu’organisatrice  j’ai  besoin  de m’appuyer  sur  des  mesures  fermes.  Ces  mesures  tardent,  puis  changent  quasiment  d’heure en heure. Je m’adapte : pas de visites scolaires ? Soit 4 000 visiteurs en moins… Oui, mais nous pouvons encore aller au bout du montage des expositions, les ouvrir plus longtemps au printemps… 
Je  tâtonne  avec  l’équipe  jusqu’à  ce  qu’enfin   nous  entrions  dans  cette  période  de  strict confinement. 

« Et l’école à la maison qui prend un temps fou »

Les  choses  s’organisent  rapidement :  se  réunir  avec  le  bureau  de  l’association  pour  aborder  la  situation  de  manière  coordonnée,  prévenir  les  auteurs,  les  éditeurs,  les partenaires, les prestataires, la presse et le public de l’annulation, en annonçant que nous avons  jusqu’à  décembre  2020  pour  fêter  l’année  de  la  bande  dessinée  et  que  nous  établirons  un  nouveau  calendrier  pour  cette  programmation  qui  représente  un  an  de travail. J’écris  aussi  un  mot  particulier  à  nos  prestataires  et  partenaires  pour  lesquels  le  confinement représente un énorme risque économique.
Les  affiches  du  festival  viennent  d’être  livrées,  les  rouleaux  de  moquette  pour  les  expositions patientent dans le hall d’entrée… Avant de fermer le centre culturel pour un long moment, je prends le temps de faire des provisions d’albums pour tout le monde à la maison, trois piles énormes tirées des vingt-sept éditions de BD à Bastia, que je dois charger dans la voiture. Au bout de trois semaines, elles sont déjà bien épuisées. 

Passer  de  semaines  de  travail  de  55 heures  au  temps  suspendu, cela  ne  va  pas  être  évident. C’est sans compter sur les échanges suivis autour de l’annulation, la mise en place du télétravail, le temps passé à prendre des nouvelles de la galaxie du centre culturel, et l’école à la maison qui prend un temps fou.

Pour le moment, nous sommes en quelque sorte privilégiés : nos partenaires financiers se  sont  tous  engagés  à  maintenir  leurs  aides.  Les  salaires  de  l’équipe  sont  assurés  et  nous pourrons également rémunérer les interventions des auteurs comme si BD à Bastia avait  eu  lieu.  C’est  déjà  faire  en  sorte  qu’un  certain  nombre  de  repères,  sécurisants,  subsistent. Je peux donc continuer à me projeter : les deux spectacles programmés dans le cadre de BD  à  Bastia  sont  à  nouveau  fixés  à  l’automne,  je  poursuis  mes  demandes  d’aides  pour  2020 et 2021, une nouvelle résidence en perspective, au collège cette fois-­ci. Ma to-­do list  n’en  finit  pas  de  s’allonger.  Cela me permet de m’extraire  du  contexte,  et  d’envisager la réalité de manière positive. »

Et vous ? Racontez-nous comment vous vous adaptez, les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous inventez en écrivant à: confinement@livreshebdo.fr
 

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