Disparition

L'incroyable destin d'Edmonde Charles-Roux prend fin

Edmonde Charles-Roux - Photo France 5

L'incroyable destin d'Edmonde Charles-Roux prend fin

Résistante, journaliste, romancière (prix Goncourt en 1966) et biographe, Edmonde Charles-Roux, ancienne présidente de l'Académie Goncourt, est morte à l'âge de 95 ans.

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Par Vincy Thomas,
Créé le 21.01.2016 à 11h20 ,
Mis à jour le 21.01.2016 à 15h00

Edmonde Charles-Roux, prix Goncourt en 1966 et ancienne présidente du jury Goncourt, est morte mercredi 20 janvier à Marseille, à l’âge de 95 ans. Affaiblie depuis décembre, Edmonde Charles-Roux s'est éteinte dans une maison de convalescence, en présence de son petit-neveu Marcantonio del Drago, a indiqué Marie Dabadie, porte-parole de l'Académie Goncourt. Anticonformiste et féministe, cette femme libre a marqué la littérature française par son esprit engagé et sa détermination à vouloir transmettre le goût du livre aux jeunes.

Premières armes durant la guerre

L’écrivaine méridionale est née à Neuilly-sur-Seine le 17 avril 1920 et a suivi durant son enfance le parcours diplomatique de son père à Saint-Pétersbourg, Istanbul, Le Caire, Prague, Londres et Rome où elle fait une grande partie de ses études. Au moment où la Seconde Guerre mondiale est déclarée, elle se prépare à devenir infirmière et s’engage dans un corps d’ambulancières au sein de la Légion étrangère. Elle est décorée de la Croix de Guerre, nommée caporal d’honneur de la Légion étrangère et citée à l’ordre du corps d’armée. Résistante, elle rejoint le cabinet du général de Lattre de Tassigny après le débarquement en Provence. La guerre n’est pas finie. Assistante sociale sous le commandement du général de Vernejoul, elle est blessée pour la deuxième fois durant ce conflit lors de l’entrée de l’armée française en Autriche. Elle est alors citée à l’ordre de la division.

Femme de médias

L’après-guerre ne sera pas de tout repos pour la jeune femme insoumise. Elle veut déserter alors qu’on tarde à la démobiliser. Et parce qu’elle a fréquenté des communistes, parce qu’elle a côtoyé des soldats, elle ne parvient pas à s’affranchir de son passé, trouvant portes closes dans son propre milieu, malgré les réseaux de son père. Elle quitte Marseille et tente l’aventure du journalisme en débutant dans un magazine féminin qui vient de naître : Elle. Elle se spécialise dans la musique et couvre le Festival d’Aix-en-Provence, qui vient d’être lancé. En 1950, elle commence sa collaboration avec le magazine Vogue dont elle devient rédactrice en chef. Elle y donne une grande place à la culture et impose des goûts littéraires audacieux en évoquant François Nourissier, Violette Leduc ou Alain Robbe-Grillet.

Dans les années 1950, elle participe aussi à l’atelier littéraire de Maurice Druon pour la rédaction des six tomes des Rois maudits. Elle a continuellement assumé sa position de nègre pour cette saga historique devenue culte (qui, par la suite, a influencé une autre série, Game of Thrones). Mais le scandale survient en 1966 quand elle veut une femme de couleur en couverture du magazine. Son ambition avorte, elle est licenciée et il faut attendre 1988 pour que Vogue se décide à afficher une femme noire dans les kiosques.

Le Goncourt dès le premier roman

En 1966, c’est aussi l’année du sacre. "Une belle vengeance”, a dit son ami Pierre Bergé. En effet, elle publie chez Grasset son premier roman, Oublier Palerme, inspiré par son enfance en Sicile. C'est un fait divers dont elle s’est souvenue et qui reçoit alors le prix Goncourt. Dès lors, son destin bascule. Lors de la remise de la médaille de la ville de Marseille, elle rencontre le maire de la cité phocéenne, Gaston Defferre. Ils se marient en 1973.

Désormais écrivaine, Edmonde Charles-Roux publie Elle, Adrienne en 1971, histoire sulfureuse entre une couturière française et un capitaine de l’armée allemande sous l’Occupation. En 1974, elle fait l’autre grande rencontre de sa vie, Coco Chanel. Une complicité littéraire qui en fera la grande spécialiste de la styliste. L’irrégulière ou mon itinéraire Chanel devient une référence biographique, genre dans lequel l’auteure va exceller avec la vie de Mademoiselle Chanel (Temps Chanel, 1990) ou celle d’Isabelle Eberhardt qu’elle décrit dans Un désir d’Orient : jeunesse d’Isabelle Eberhardt (1988) et Nomade j’étais (1995).  

On lui doit aussi Don Juan d’Autriche : bâtard de Charles Quint (1980). L’écrivaine traduit par ailleurs Une enfance sicilienne en 1981 de Fulco di Verdura, livre de Mémoires du cousin de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, qui avait été embauché par Gabrielle Chanel. Toujours elle.

La grande réformatrice du Goncourt

En 1983, alors que son époux est devenu ministre, elle entre à l’Académie Goncourt, élue au 2e couvert, autrefois occupé par Huysmans et Guitry. Toujours avide de transmettre, elle fait fi des réticences des jurés quand elle décide de créer le prix Goncourt des lycéens afin de rajeunir l’institution et de l'ouvrir sur l'extérieur. Le trophée est lancé en 1988 avec la Fnac. Ce prix lui tenait particulièrement à cœur, toujours enchantée de voir des jeunes s’enthousiasmer pour la littérature française.

Elle devient présidente de l’Académie en 2002, succédant à François Nourissier et réforme l’institution en modifiant les statuts avant de laisser sa place à Bernard Pivot, il y a deux ans. Eric-Emmanuel Schmitt lui succède au jury en ce mois de janvier.

Davantage passionnée par l’Histoire et les personnalités féminines hors du commun que par le roman, Edmonde Charles-Roux était avant tout curieuse, conversant avec simplicité avec ses interlocuteurs. "Rien n’est plus égoïste qu’un écrivain”, expliquait cette femme empathique, patiente, polie et indocile. "Vivre c'est dire non”, rappelait-elle à ses visiteurs.
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Bernard Pivot a exprimé sur RTL sa tristesse suite à l’annonce de son décès : "J’ai beaucoup de chagrin parce que je l’admirais vraiment, et j’aimais beaucoup cette femme, vraiment. Parce qu’elle avait le courage physique… Vous savez qu’elle a été blessée pendant la guerre, elle a été volontaire, elle a été récompensée par la médaille militaire. Et puis elle avait le courage intellectuel, quand il fallait prendre une position tranchée elle n’hésitait pas, quitte à mettre son avenir professionnel en jeu. Et puis alors c’était une femme de talent bien entendu, elle a obtenu le prix Goncourt en 1966 avec Oublier Palerme. Elle a récidivé quelques années après avec Elle, Adrienne, un autre roman, et puis après elle s’est tournée vers les biographies : la biographie de Coco Chanel… Elle a toujours été un écrivain de grande qualité."

Grand officier de la Légion d’honneur depuis 2013, elle était aussi présidente de l’Association pour le soutien de la Maison Elsa Triolet-Aragon, à Saint-Arnoult-en-Yvelines.

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